Insertion professionnelle : trouver sa place dans l’orchestre
Intégrer un grand orchestre professionnel, en France ou dans le monde : tel est le rêve de nombreux étudiants des deux Conservatoires Nationaux Supérieurs Musique et Danse (CNSDM) de Lyon et Paris. Ces jeunes ont déjà passé de nombreuses étapes sur le chemin qui mène au statut de musicien professionnel. Ils n’ont pas compté les heures passées à travailler leur instrument dans leur chambre, dans les écoles de musique, au conservatoire de région. Ceux qui intègrent les deux Conservatoires Nationaux Supérieurs Musique et Danse de Lyon et de Paris ont remporté de nombreux concours. Pour être recrutés par un orchestre, il leur faudra passer un ultime concours, peut-être le plus délicat de leur vie.
Un métier pour la vie
« Peu de ces jeunes étudiants ont conscience qu’ils s’engagent souvent pour 30 ou 40 ans et ce que cela implique », constate Aline Sam-Giao, directrice générale de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon. Celle qui gère un orchestre de 104 musiciens et musiciennes questionne : « Il est possible que les nouvelles générations évoluent et ne restent pas toute leur vie à l’orchestre mais pour le moment, c’est une réalité : les instrumentistes qui partent de l’ONL après quelques années de carrière se comptent sur les doigts de la main. » À l’image des sportifs de haut niveau, la reconversion d’un musicien d’orchestre est difficile. Il est donc essentiel pour ces jeunes de savoir de quoi il retourne avant de se lancer.
Depuis plusieurs décennies, la question de l’insertion professionnelle de musiciens et musiciennes de haut niveau préoccupe les professionnels et les éducateurs. L’enjeu n’est pas seulement de leur trouver une place dans l’un des quelques 700 orchestres du monde entier. L’objectif est que tout au long de leur carrière, ils conservent leur santé, s’épanouissent et continuent de nourrir leur passion pour leur métier. La Fondation Société Générale a fait de l’insertion professionnelle l’un des axes majeurs de sa politique de mécénat. Elle est par ailleurs l’un des grands mécènes de la musique classique en France. Le sujet lui parle donc doublement.
Les Orchestres de jeunes
Il y a un monde entre jouer seul dans son salon et jouer au milieu de 80 musiciens. Dans son parcours d’instrumentiste, un jeune violoniste, harpiste ou percussionniste n’aura que de rares occasions de jouer dans un si grand collectif. Certains auront pu participer aux projets Demos ou Orchestre à l’école, deux programmes d’initiation à la musique à l’école ou au collège que la Fondation Société Générale soutient activement. Les jeunes adultes, ceux qui ont décidé de faire de la musique leur métier, peuvent demander à participer à un orchestre de jeunes.
Des orchestres de jeunes ont en effet émergé à partir des années 1970. L’Orchestre Français des Jeunes, soutenu par la Fondation Société Générale de 1992 à 2007, est né en 1982 sous l’impulsion du Ministère de la Culture et de la Communication pour répondre à ce besoin : former les jeunes instrumentistes au métier de musicien d’orchestre, en complément de l’enseignement suivi en conservatoire. Sur ce modèle, il existe plusieurs orchestres éphémères réunissant des jeunes artistes comme l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée ou le Jeune Orchestre Atlantique, pour ne citer que la France.
Quelques semaines à peine doivent suffire à ces musiciens de 16 à 25 ans pour se faire une idée du métier de leur vie… Une décision lourde pour des étudiants jeunes voire très jeunes. « Jusqu’à présent on savait bien faire cette partie-là du parcours, explique Mathieu Ferey, directeur du Conservatoire national Supérieur Musique et Danse de Lyon. En faisant d’eux d’excellents interprètes, on prépare les étudiants au concours de recrutement des orchestres. A la sortie du Conservatoire supérieur, la plupart d’entre eux vont trouver une place. Voilà pour les compétences. Les orchestres de jeunes, essentiels pour la connaissance du métier et offrir une immersion, sont des orchestres d’étudiants. Il nous semblait important que nos étudiants puissent être au contact de musiciens d’orchestre professionnels. »
Il nous semblait important que nos étudiants puissent être au contact de musiciens d’orchestre professionnels.
Mathieu Ferey, directeur du Conservatoire national Supérieur Musique et Danse de Lyon.
A Lyon, un Master immersif
Face à ce constat, le Conservatoire national Supérieur Musique et Danse de Lyon et l’Orchestre de Lyon se sont associés pour créer un Master de formation au métier de musicien d’orchestre. « Ce Master, sur deux ans, détaille le directeur, aborde l’insertion professionnelle sous toutes ses formes : des conditions de recrutement à la prévention des problèmes de santé. » « Les liens entre le CNSMD de Lyon et l’Orchestre de Lyon (ONL) sont naturels, poursuit Aline Sam-Giao, et il arrive souvent que les étudiants en fin de Conservatoire viennent renforcer les rangs de l’ONL. Cette série de concerts, pour laquelle ils sont payés comme des professionnels, ne permet pas d’appréhender la totalore de la vie d’un orchestre : la programmation, la relation avec le public, les règles de sécurité ou encore l’action culturelle dans les écoles. Le métier de musicien d’orchestre a beaucoup évolué. A Lyon comme à Paris ou à Bordeaux, ces professionnels sont intégrés à un territoire : ils s’impliquent dans la cité et interviennent dans les écoles de quartier, les maisons de retraite, etc. Ce Master donne aux étudiants une vision complète et leur offre des outils pour qu’ils puissent s’épanouir dans leur futur travail. »
La formation de ce Master lyonnais est ouverte sur concours d’entrée accessible aux étudiants titulaires d’un diplôme de premier cycle supérieur français ou étranger. Le concours d’entrée de la première promotion s’est tenu le 27 septembre 2021 et a été fructueux. Il a permis de donner l’opportunité à quatre étudiants d’intégrer cette formation pilote : Katharina Zeller, une corniste autrichienne, Quentin Wattincourt, contrebassiste français, Earlene Massonneau, violoniste française, et Dora Koç violoniste turque. Durant les deux années de formation, les étudiants ont accès de manière privilégiée à un certain nombre de répétitions, générales et concerts de l’Orchestre national de Lyon.
Chacun de ces quatre étudiants intégrera son pupitre (sa section) à l’orchestre et sera encadré par un « parrain » ou marraine et quatre « co-parrains », tous musiciens titulaires à l’ONL. « C’est plus facile de mobiliser cinq violonistes de l’Orchestre car ils sont nombreux, explique Mathieu Ferey. L’intégration au Master de Katharina, qui joue du cor, a nécessité que tout le pupitre des cors, soit sept musiciens, acceptent de jouer le jeu du Master. » Les étudiants ont tous participé à une première journée d’échanges avec des directeurs d’orchestre français. Les questions des jeunes ont porté par exemple sur le système de rémunération des salariés d’un orchestre, un système qui varie d’un territoire à un autre, d’un statut d’orchestre à l’autre.
L’autre thème largement abordé lors de cette première journée d’échanges a été la programmation. « Ils avaient une image de l’orchestre où les musiciens ne sont pas impliqués dans la programmation, explique Aline Sam-Giao, ce qui est faux. Les membres de l’ONL co-construisent la programmation avec le chef d’orchestre et le délégué artistiques à travers des instances déidées. Cette question de la programmation est essentielle. Les étudiants vont comprendre que la programmation est le fruit d’un arbitrage entre des objectifs purement artistiques, des questions financières et les enjeux d’adhésion du public. »
Dans les entreprises on parle d’agilité, de transversalité. On se pose la question de comment associer les collaborateurs à la stratégie. Pourquoi les entreprises culturelles seraient-elles hors de ce champ ? Telle est l’ambition de ce Master : donner à ces jeunes les moyens de contribuer à l’orchestre de demain.
Aline Sam-Giao, directrice générale de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon
Le Master proposera également un travail avec la responsable des publics à l’Auditorium-Orchestre national de Lyon. Les apprentis musiciens pourront analyser les données marketing de l’ONL, les résultats des enquêtes qualitatives et des entretiens individuels réalisés auprès des spectateurs et spectatrices. Ils auront alors à construire une programmation type, et à la défendre. « Dans les entreprises on parle d’agilité, de transversalité, argumente Aline Sam-Giao. On se pose la question de comment associer les collaborateurs à la stratégie. Pourquoi les entreprises culturelles seraient-elles hors de ce champ ? Telle est l’ambition de ce Master : donner à ces jeunes les moyens de contribuer à l’orchestre de demain. »
Projet pilote, ce Master que la Fondation Société Générale soutient depuis les premiers jours, a pour ambition de donner le « la » à l’insertion professionnelle des musiciens pour les années à venir. « Et qu’arrivent à Lyon des étudiants étrangers qui ne seraient pas venus sans ce Master, espèrent Aline Sam-Giao et Mathieu Ferey. Que, au sein d’un orchestre français ou étranger, les étudiants passés par le Master partagent leur enthousiasme sur le mode de formation du CNSMD de Lyon, la qualité de l’ambition de l’ONL : qu’ils soient ambassadeurs de notre système. »