Barbara Hannigan : chanteuse, chef d’orchestre, mentor

Barbara Hannigan

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous sommes allés interroger Barbara Hannigan, chanteuse soprano, chef d’orchestre, parfois les deux, et toujours star mondiale de la musique classique, sur la situation dans son milieu, vis-à-vis de l’égalité Femmes-Hommes. Comment cette forme d’art réputée traditionnelle s’adapte-elle aux temps qui changent ? 

Presque tout a été ralenti par la crise du coronavirus et les confinements. Pourtant, loin de se figer pendant cette période particulière, la musique classique s’est découverte une nouvelle vélocité. “La préparation pour un concert de musique classique prend tellement de temps. Il faut prévoir des années en avance, il faut monter le programme de répétitions six mois en avance. Le temps que je vais consacrer à pratiquer tel ou tel morceau est calibré à la minute près ! C’est une immense machine avec tellement de personnes impliquées. C’est extrêmement rigide”, explique la chef et soprano Barbara Hannigan depuis Copenhague. Et pourtant, ce luxe n’était plus possible avec la pandémie, d’où la nécessité de trouver d’autres moyens d’avancer : Avec la pandémie, on a réalisé à quel point la musique classique pouvait être rapide. On a dû être capable de changer rapidement les programmes à cause des annulations, des cas positifs, des quarantaines. La musique classique sait désormais qu’elle peut aller vite.” 

Barbara Hannigan

La transformation de la musique classique ces dernières années ne s’arrête pas à sa temporalité, elle est beaucoup plus profonde. Un changement illustré par la carrière de Barbara Hannigan. Née dans un village de moins de mille habitants sur la côte atlantique canadienne, la soprano s’est d'abord établie comme l’une des plus grandes voix de sa génération, spécialisée dans le répertoire contemporain, avant de commencer une carrière parallèle en tant que chef d'orchestre. Une carrière initialement inenvisageable pour la jeune Barbara : “quand j’étais jeune, ma prof de piano et ma prof de musique étaient toutes les deux des femmes. Je me suis dit que les femmes étaient donc des leaders dans ce domaine. Mais ensuite j’ai vu les orchestres, et j’ai vu qu’aucune femme n’était chef d’orchestre. J’en ai déduit que les femmes formaient, enseignaient et faisaient tout le travail, mais laissaient la place aux hommes qui prenaient les commandes quand ça devenait sérieux et intéressant.” 

En 2011, c’est Barbara qui prend les commandes. Encouragée par des amis musiciens, elle s’est lancée. “J’ai su qu’il se passait quelque chose d’important lors de mon premier concert, juste avant de monter sur scène en tant que chef. Ce n’était pas seulement les applaudissements de la foule qui étaient certes superbes ! ” Mais c’est là que le retard du monde de la musique classique par rapport à l’égalité a été flagrant : “Personne ne m’a jamais demandé comment c’était d’être une femme soprano, ça n’a pas de sens. Mais dès que j’ai commencé à diriger, chaque question tournait autour de ça. Pourtant, on ne demande jamais aujourd’hui à une médecin ce que ça fait d’être une médecin femme. Ce n’est plus anormal. Il reste encore quelques professions qui tardent comme les astronautes, les chefs de sushi et les chefs d’orchestre. J’ai d’ailleurs rencontré plusieurs femmes qui m’ont dit qu’elles rêvaient d’être chefs d’orchestre mais qu’elles avaient raté leur chance.” 

Depuis, l’artiste divise son temps entre le chant, la direction et l’enseignement. Avec son programme Equilibrium, la musicienne cherche à inspirer et accompagner des jeunes musiciens au tout début de leur carrière. Le but n’est pas tant de leur enseigner la technique que de les aider à trouver leur voie. “Nous voulons les encourager à découvrir leur individualité en tant qu’artiste. Leur donner la place pour découvrir une créativité authentique.” Et ça marche, depuis quelques années, Barbara Hannigan remarque de plus en plus de jeunes femmes qui veulent être chefs d’orchestre ou enfiler plusieurs casquettes. Pas seulement chanteuse ou pianiste, elles veulent mélanger. “Quand j’entends ça, je me dis wow ! il n’y avait pas ça il y a vingt ans.” Et ce n’est pas la seule chose qu’il n’y avait pas il y vingt ans. Depuis Copenhague, elle nous parle de jeunes étudiants chefs d’orchestre qui ont assisté à ses répétitions : "Parmi les sept jeunes chefs d’orchestre qui sont ici, trois sont des hommes, quatre sont des femmes.” 

Nous voulons les encourager à découvrir leur individualité en tant qu’artiste. Leur donner la place pour découvrir une créativité authentique

Barbara Hannigan

Crédits photos : Marco Borggreve et Musacchio & Ianniello / Accademia Nazionale di Santa Cecilia