ACTE J, un projet éducatif novateur
ACTE J réunit de jeunes chanteurs professionnels venus de trois pays : France, Allemagne et Suisse. Cette académie chorale trinationale d’excellence a pour but d’aider les premiers pas de jeunes musiciens dans leur carrière professionnelle européenne voire internationale. Explication avec Léo Warynski, directeur des Métaboles.
Pourquoi réunir des jeunes chanteurs de trois pays différents ?
L’idée d’ACTE J est la transmission et la construction de passerelles. Cette académie pour jeunes professionnels ou en voie de professionnalisation s’adresse aux chanteurs ou chanteuses mais aussi aux chefs ou cheffes de chœur. L’idée est de réunir les forces de trois structures différentes : la Vokalakademie Berlin en Allemagne, Les Métaboles en France, les Basler Madrigalisten en Suisse. Elles travaillent dans la zone géographique commune, transfrontalière. Les Métaboles sont soutenus par la région Grand-Est. Cette académie de jeunes - le « J » de « jeune » correspond aussi au mot « Jung » en allemand - est portée en France par Cadence, ex mission Voix Alsace. Tous les acteurs ont le souci de soutenir des amateurs de haut niveau ou les débuts professionnels de jeunes artistes.
Qui dit circulation dit émulation
Léo Warynski
La circulation des jeunes artistes est-elle compliquée en Europe ?
Finalement, oui ! Les réseaux professionnels ne se croisent pas ou peu d’un pays à l’autre. Assez peu de chœurs allemands pénètrent le réseau français, et réciproquement. D’abord pour des questions de statuts juridique : un chœur professionnel en Allemagne ne veut pas dire la même chose en France car il n’y a pas d’intermittence en Allemagne et en Suisse. Dans ces pays, les chœurs professionnels sont des ensembles permanents. En France, le système de l’intermittence permet à des chanteurs de travailler dans plusieurs chœurs. Les dynamiques ne sont pas les mêmes.
Quel est le bilan de cette première édition ?
Concrètement, trois concerts ont été donnés le 20 et 21 novembre par ce chœur éphémère transfrontalier. Ils ont eu lieu dans les trois pays, à Fribourg en Allemagne, à Bâle en Suisse et à Guebwiller en Alsace. Nous avions choisi des œuvres en français, de Claude Debussy, Maurice Ravel et Francis Poulenc, et en allemand avec des partitions signées Johannes Brahms. Qui dit circulation dit émulation. Pendant ces moments communs, en répétition et en concert, nous avons surtout pu partager des visions différentes de notre métier.
Comment s’illustrent ces différences professionnelles ?
Il y a d’abord la connaissance des subtilités de la langue. Nous avons par exemple chanté « Yver, vous n'estes qu'un vilain », une chanson d’inspiration médiévale composée par Claude Debussy en 1909. Les Français comprennent les sous-entendus du texte, presque parodiques, et y mettent l’intention juste. Ce sera plus difficile pour un Allemand. A l’opposé, dans une mélodie de Brahms, un chanteur allemand fera naturellement le bon phrasé (le rendu rythmique) et pourra le transmettre à un Français. En tant que chef de chœur ayant la chance de travailler dans plusieurs pays, je constate ces particularités. Les Allemands, comme les Anglais, mettent l’énergie dans les consonnes. Je perçois tout de suite si la personne est amoureuse ou énervée selon l’accent porté sur les consonnes ! Les Français, qui ont une langue plus « plate », mettent l’émotion sur d’autres paramètres, l’intensité sonore par exemple. Les Suisses, qui ont une culture vocale extraordinaire, font le lien entre les deux… un peu comme en politique ! Harmoniser ces différences est une vraie leçon d’écoute et de partage, une compétence précieuse aussi. L’intention du projet est profondément europhile.
Quels obstacles avez-vous rencontrés ?
La langue, un peu, mais aussi le fonctionnement des ensembles : l’organisation des répétitions, la gestion des questions administratives et aussi les demandes de subventions qui varient d’un pays à l’autre. Nous avons choisi un rythme intense, celui que l’on vit dans le cadre d’un concert ou d’une tournée professionnelle. C’était important que les jeunes académiciens et académiciennes soient confrontés à cette réalité : ils ont eu en septembre et octobre deux week-ends de répétitions en amont dans leurs pays respectifs, puis deux jours pour monter le programme avant les concerts. C’est peu. Cela nécessite d’entrer dans une certaine énergie et de suivre la vitesse du rythme professionnel. Ce fut un beau défi pour les jeunes chanteurs.
Quel a été le retour des chanteurs des Métaboles ?
Je peux relayer le témoignage de Marco, l’un de nos ténors. Il a été agréablement surpris par la qualité musicale. Marco est professionnel depuis peu : il connaît les enjeux de faire du chant son métier. Il a pu sentir l’investissement des jeunes et l’ambiance très chaleureuse. Ce genre d’expérience est bénéfique pour tous : être avec des amateurs très investis booste les pros. Ils nous rappellent pourquoi nous faisons ce métier-là. Ces rencontres nourrissent l’enthousiasme.
Peut-on faire un parallèle avec Playing For Philharmonie dont vous assurez la direction chorale depuis des années ?
Playing for Philharmonie a ce même propos de réunir des pros et des amateurs. Même s’il n’y a pas d’enjeu professionnel pour les participants salariés du groupe Société Générale, le principe de travailler par étapes est le même. Les collaborateurs chanteurs et chanteuses travaillent en « partielles » (par petite équipe) toutes les deux semaines, puis en « tutti » (ensemble) tous les mois. Je pourrais même ajouter un lien entre ACTE J et Playing for Philharmonie pour son côté international car c’est ma tâche de coordonner le projet au niveau international. Je vais par exemple en Côte d’Ivoire et en Russie pour faire travailler les choristes afin qu’ils soient prêts pour la dernière ligne droite à Paris. J’y vais pour travailler la vision musicale car lors des répétions avec François-Xavier Roth, cela va très vite ! Nous avons été très tristes de ne pas nous réunir lors de l’édition précédente. J’espère qu’en 2022 nous serons enfin tous ensemble.