Vers de nouveaux formats pour la musique classique

Ces musiciens et musiciennes sillonnent les routes à vélo, déplient leur scène sur la place d’un village ou s’installent dans une grange entre les bottes de foin et les vaches. Un orchestre symphonique, un duo piano-violoncelle, un quatuor à cordes… Délaissant les cadres conventionnels des grandes salles de concert, de plus en plus d’initiatives inventent de nouveaux formats de diffusion de la musique classique. Portés par des artistes audacieux et souvent nés dans un contexte de crise — celui de la pandémie — ces formats hybrides, conviviaux et itinérants, s’imposent désormais comme des terrains d’expérimentation artistique à part entière. Plus qu’une tendance, c’est une transformation en profondeur qu’encourage Société Générale à travers notamment trois initiatives : Concerts à la ferme et les tournées à vélo de l’orchestre Les Forces Majeures, tous deux soutenus par la Fondation Société Générale ; et Un Été en France imaginé par Gautier Capuçon et coproduit par le groupe Société Générale.
La proximité comme point de départ
Ce qui relie d’abord ces trois projets est un changement de paradigme : la musique ne s’attend plus, elle vient à vous. L’artiste qui prend la route, traverse champs ou petites villes, se met au diapason des lieux et des gens. Avec Un Été en France, Gautier Capuçon s’installe sur des scènes éphémères, à ciel ouvert, au cœur des communes rurales, attirant jusqu’à plus de 4000 personnes, venues voir le violoncelliste star entouré de jeunes et brillants musiciens. Dans Concerts à la ferme, l’ensemble installe son piano et ses pupitres directement dans les exploitations agricoles, au cœur même du quotidien des agriculteurs. Quant à l’orchestre Les Forces Majeures, il repense entièrement la logistique des tournées : ses musiciens et musiciennes voyagent à vélo, transportent leurs instruments dans des remorques, et jouent chaque jour dans des lieux différents — écoles, maisons de quartier, gymnases ou en pleine rue.
À chaque fois, le concert devient un levier de rencontre. Le public vient avec sa chaise pliante, parfois son parapluie, et le concert se prolonge autour d’un verre offert par la commune ou la chambre d’agriculture. La musique devient l’affaire de tous.
Des formats souples, adaptables… mais exigeants
Tous les musiciens de ces projets se battent contre une idée reçue : ce type de concert « hors les murs » n’est pas synonyme d’un relâchement artistique, au contraire ! « Ce n’est pas une animation. Ce n’est pas de l’événementiel. Ce sont de vrais concerts, pensés dans leur cohérence, dans leur exigence artistique et humaine », insiste Arnaud Thorette, altiste et violoniste et directeur artistique du projet.
Les artistes, jeunes ou plus expérimentés, insistent sur le haut niveau d’exigence qu’ils s’imposent. Le Requiem de Fauré joué dans une grange pour les Concerts à la ferme, une symphonie de Haydn adaptée pour orchestre de chambre par Les Forces Majeures, ou un sextuor à cordes de Tchaïkovski joué par Gautier Capuçon et sa bande de jeunes : ces grandes pages du répertoire ne souffrent aucun compromis musical.
Il faut cependant savoir composer avec les contraintes : des scènes improvisées, des températures extrêmes, la pluie sur les archets, l’arrêt de la musique pendant la traite des vaches (ça les stresserait trop !) ou la fatigue d’une journée de vélo avant un concert. L’adaptabilité devient une compétence artistique à part entière. « Il faut une grande expérience scénique pour s’adapter aux aléas sans perdre en qualité musicale », souligne Hélène Paillette, co-directrice de Concerts à la ferme.
Dans ce contexte, la sélection des musiciens est cruciale. Les projets s’appuient sur un réseau d’interprètes aguerris ou formés dans les plus hautes institutions, capables de maintenir un haut niveau tout en s’ouvrant à l’inattendu. Et surtout, capables d’entrer en lien : pas tous les artistes ne savent répondre aux applaudissements d’un enfant assis dans la paille ou d’une grand-mère qui n’a jamais vu de violon de près. Il faut plus que du talent : il faut du cœur.
Des tournées comme des aventures collectives
« Je n’avais jamais osé demander aux artistes d’aller jouer dans une ferme. Après le Covid, tout le monde voulait recréer du lien. Et là, ça a été une évidence », explique Hélène Paillette. L’histoire de Concerts à la ferme, lancés en 2021 commence au lendemain du confinement. La DRAC Hauts-de-France invite l’ensemble Contraste à imaginer de nouveaux formats en proximité avec les habitants. Pour Hélène, le déclic viendra dans une ferme bio de l’Oise, entre cageots de légumes et bottes de foin. Très vite, l’idée prend racine : inviter les musiciens à jouer dans des exploitations agricoles, au cœur même des territoires ruraux.
Ces projets ne sont pas de simples concerts hors les murs. Ce sont des formes de compagnonnage, des aventures collectives, des expériences de troupe. Le format même des tournées favorise une immersion dans les territoires, mais aussi une vie de groupe intense. Chez Les Forces Majeures, la tournée Accordez vos vélos devient chaque été un moment fondateur pour les musiciens : plusieurs semaines sur les routes, avec jusqu’à trois concerts par jour, des kilomètres à vélo, des nuits chez l’habitant, des partenariats avec les associations locales de promotion du cyclisme, etc. « La vie de troupe soude. Jouer sous la pluie, réparer un vélo ensemble, répéter dans un square… ça crée du lien humain, et ça change la manière de faire de la musique », raconte Robin Ducancel, coordinateur artistique et cycliste passionné.
Même esprit chez Gautier Capuçon, qui, parle de la tournée Un Été en France comme d’un moment de fraternité : entre les jeunes musiciens qui assurent la première partie et l’équipe de production qui suit tout le festival itinérant mais aussi avec les élus, les bénévoles, les habitants qui œuvrent durant des mois pour accueillir au mieux le passage de la troupe d’artistes.
Et dans les fermes, c’est toute une logistique locale qui se met en branle. Les exploitants agricoles deviennent des apprentis techniciens du spectacle vivant : ils vident la grange, accueillent les artistes, gèrent la billetterie (à prix libre), organise les « verres de l’amitié » qui suivent les concerts. Chaque représentation devient une fête, une célébration collective de la musique, de la terre, et des liens humains.
Une autre manière de penser l’ancrage territorial
Les tournées itinérantes de Concerts à la ferme s’organise par bloc de trois jours, passant de ferme en ferme, avec des trajets courts (35 kilomètres d’une exploitation à l’autre) et un seul véhicule transportant tous les artistes. Une démarche aussi écologique que financière (un cachet forfaitaire pour le week-end), qui témoigne d’une autre façon de penser la diffusion artistique. L’engagement écologique est le premier moteur de Accordez vos vélos.
Le projet Un Été en France suit une logique proche : apporter la musique là où elle ne va pas toujours. Chaque été, depuis 2020, Gautier Capuçon sillonne les routes de France pour offrir des concerts gratuits en plein air. Un van « artistes », un van « piano » et un van « son » traversent une dizaine de lieux : parcs, plages, bases de loisirs, places de villages... Les musiciens jouent sur une scène montée par la commune. Le spectateur vient avec son pliant et un parapluie en cas d’averse. Il n’est pas rare, comme pour la tournée 2025, que les concerts rassemblent plus de 4 000 personnes ce qui possible grâce à la co-production avec le groupe Société Générale et la mobilisation des équipes locales.
« Ce qui nous intéresse, c’est de construire des tournées longues, cohérentes, enracinées dans les territoires. Le vélo devient un prétexte, une contrainte qui structure et rend possible une autre manière de faire de la musique », explique Robin Ducancel. En 2025, pour le mythique trajet Paris-Roubaix, Accordez vos vélos a traversé 30 villes étapes, parcouru 450 km et donné 40 concerts par tournée.
Des modèles hybrides, mais fragiles
Organiser ce type de tournée, ce n’est pas seulement une belle idée. C’est aussi un vrai défi logistique et financier. Entre la mobilité, l’accueil, la technique et la production artistique, chaque tournée demande des mois de préparation et des budgets parfois élevés : 120 000 € pour 15 jours de tournée à vélo pour Les Forces Majeures, des centaines de cachets à financer pour les artistes de Concerts à la ferme.
Les modèles économiques sont mixtes : financements publics, soutien des collectivités locales, participation libre du public et mécénat privé. Le financement privé, comme le soutien de la Fondation Société Générale, est crucial dans cet équilibre. Il permet non seulement de sécuriser une partie du budget, mais aussi de crédibiliser les projets auprès d’autres partenaires. Concerts à la ferme reçoit également l’aide de la CENECA, propriétaire du Salon international de l’Agriculture. Après un démarrage les Hauts-de-France, l’initiative s’étend au Périgord, à la Savoie, à la Haute-Normandie, une expansion nationale permise grâce au soutien de la Fondation Société Générale.
Vers une nouvelle culture du concert
Ce qui se dessine, au croisement de ces trois initiatives, c’est une nouvelle manière d’envisager la musique classique. Plus qu’une délocalisation, c’est une transformation du format même du concert : dans sa durée, son espace, son public, son approche. La musique classique sort de son cadre sans se renier. Elle reste exigeante, mais elle se rend disponible. Elle ose la simplicité, la vulnérabilité, l’imprévu. Et elle gagne en puissance : car dans un silence partagé sur une place de village, dans une grange au coucher du soleil, ou dans un gymnase transformé en salle de concert le temps d’un soir, la musique prend une autre épaisseur. Elle devient ce qu’elle n’a peut-être jamais cessé d’être : un langage commun, une émotion partagée, un moment suspendu. Accessible à tous.