Rendez-vous en musique inconnue avec l’Ensemble Variances

Les musiciens de l’Ensemble Variances sont partis à la découverte de la tradition musicale d’une communauté amérindienne isolée de Guyane. Le début d’une longue collaboration.

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Ensemble Variances Takwali

Les musiciens de l’Ensemble Variances ont joué sur une scène surprenante. Au cœur de l’Amazonie guyanaise, sur les rives de l’Oyapock. L’ensemble fondé par Thierry Pécou a choisi de réaliser sa prochaine création intitulée « Takwali » en allant à la rencontre des Wayãpi. Ce peuple amérindien possède une tradition extraordinaire de clarinettes en bambou, les « tule », qu’ils pratiquent en formation collective.

Rencontrer et initier des projets musicaux avec des communautés autochtones est au cœur de la démarche du compositeur Thierry Pécou. Avec ses musiciens, il a déjà dialogué musicalement avec des indiens Navajos et des indiens de la tradition hindoustani. La Sacem (société française de gestion des droits d'auteur) l’a incité à travailler avec les territoires français d’outre-mer. « Mon choix s’est porté sur la Guyane. A la suite du travail réalisé avec des communautés amérindiennes, au nord du continent américain, j’avais envie de continuer d’explorer ces cultures. L’ethnomusicologue Jean-Michel Beaudet m’a parlé des Wayãpi et des Tekos, des peuples amérindiens de la forêt qu’il étudie depuis les années 1970. Ses membres ont une pratique musicale unique, réalisée sur les tule (se prononce « tulé »), de grandes clarinettes en bambou. »

Ensemle Variances Takwali Clarinette Tule ©LaureSubreville

Un autre rapport à la musique

La « méthode » Thierry Pécou consiste à partir à la rencontre de musiciens d’autres cultures afin de collecter les musiques traditionnelles, qui seront ensuite partagées avec l’Ensemble Variances. Pour le projet « Takwali », le compositeur a mobilisé des musiciens français jouant des instruments qui se rapprochent de l’instrument des Wayãpi: le saxophone et la clarinette. De ces échanges, humains et musicaux, vont naître une composition nouvelle signée par Thierry Pécou et un spectacle permettant au public de découvrir une culture méconnue. « Pour le projet « Takwali », la collecte des sons va au-delà de la simple musique, a constaté le compositeur. Nous devons étudier toute leur culture pour comprendre leur musique. Leur mode de vie est loin du nôtre, tout nous est singulier. Leur rapport à la musique n’est pas le même qu’en Occident. La musique s’inscrit dans leur quotidien, dans l’accompagnement des fêtes spirituelles notamment. Mais s’ils font comme nous de la musique pour le plaisir, ils ne sont pas que spectateurs. Ils sont surtout acteurs du rituel. »

 

La réalisatrice Laure Subreville a relevé le défi. En janvier 2021, elle est partie en repérage avec l’ingénieur du son Guillaume Cassagnol. « J’avais envoyé un courrier pour proposer officiellement ma venue au chef coutumier, raconte-t-elle. Pour atteindre le village Camopi, il faut faire plusieurs heures de pirogue. Jean-Michel Beaudet m’avait donné quelques noms. » Sa première impression est inconfortable : « Le Blanc est vécu comme un intru. Personne ne vous dit bonjour. On ressent une hostilité, une méfiance… qui est normale après des siècles de colonisation. »

La construction de ces instruments éphémères fait partie du rituel. Ils sonnent comme des trompes. Leur musique qui semble simple au premier abord utilise une technique de construction en quinconce, avec des mélodies entrelacées, de façon circulaire.

Thierry Pécou

Une leçon de pratique collective

Laure Subreville comprend vite qu’il lui faudra établir une relation de confiance. En y restant un mois, puis y revenant un an plus tard en janvier 2022 et en respectant leur rythme. « On a dû par exemple arrêter de tourner pendant cinq jours, car c’était trop pour eux. » Pas à pas, la réalisatrice et son équipe ont été acceptés, puis invités à une cérémonie traditionnelle racontant la Suite de l’anaconda, leur chant le plus connu.

 

Les musiciens sont assis sur des bancs. Il n’y a que des hommes. Le premier à jouer est le chef coutumier, Breteau Jean-Baptiste : il possède la connaissance la plus large du répertoire des chants traditionnels. Il souffle dans la clarinette en bambou qu’il a fabriquée le jour-même. « La construction de ces instruments éphémères fait partie du rituel, précise Thierry Pécou. Ils sonnent comme des trompes. Leur musique qui semble simple au premier abord utilise une technique de construction en quinconce, avec des mélodies entrelacées, de façon circulaire. » Comme chaque instrument ne produit qu’un son, il faut être plusieurs pour créer une mélodie : une grande leçon de pratique collective !

Ensemble Variances Takwali 2 ©Laure Subreville

Un défi de taille

Les images de cette expérience extraordinaire nourriront « Takwali », le spectacle de l’Ensemble Variances. Et aussi un documentaire de 52 minutes « Camopi One » coproduit par Massala, l’Ensemble Variances et France Télévisions Guyane la 1ère. Laure Subreville a ajouté une nouvelle dimension à son film : le rapport de la jeunesse à leur tradition. « Nous sommes venus pour la musique traditionnelle des tule, s’amuse-t-elle, mais nous sommes tombés sur des jeunes qui veulent faire des clips pour se faire connaître et sortir du village ! Très influencés par le rap américain, ils chantent un mélange de langues de leur territoire : wayãpi, teko, brésilien, créole, anglais et français. Du côté musical, même mélange : reggae, musique latine, Kompa haïtien, rap français… avec beaucoup de textes, car ces jeunes de l’intérieur du territoire de Guyane veulent dire qui ils sont. »

 

L’objectif, dans quelques mois, est de construire le spectacle « Takwali » en faisant venir les musiciens wayãpi en Occident afin qu’ils jouent avec leurs collègues de l’Ensemble Variances. « Le sens de la démarche est l’échange culturel, souligne Thierry Pécou. Il faut se faire accepter par la communauté, et pour cela plusieurs voyages seront nécessaires. Il y a une part d’inconnu dans la manière dont les Wayãpi vont réagir. Seront-ils ouverts au moment où nous les retrouverons ? C’est un pari que nous faisons. »

Crédits photos : Laure Subreville