Rencontre avec Christophe Rousset, chef d’orchestre

Depuis 30 ans à la tête de son ensemble « Les Talens Lyriques », le claveciniste et chef d’orchestre Christophe Rousset défend le répertoire baroque français et italien, révèle des compositeurs mé-connus, nourrit d’ambitieuses actions culturelles en faveur de collégiens. Les Talens Lyriques et Christophe Rousset sont partenaires de la Fondation Société Générale depuis 2019. Rencontre.

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Comment ont évolué Les Talens Lyriques en 30 ans ?

Peu, si on met de côté la forme des concerts, la notoriété, l’audience ! Les Talens Lyriques ont gardé leur fondement : nous avions débuté avec des airs napolitains et nous avons débuté la saison 2020/21 à La Scala de Milan avec La Calisto (1651), un opéra italien de Francesco Cavalli (1602-1676). La défense d’un axe baroque « Italie-France » est toujours là ! Bien sûr, à nos débuts, en réalisant des cantates et des petits motets, je n’imaginais pas avoir un jour les moyens de monter des opéras de Gluck, Salieri, Rameau. Il y eut sur ce parcours des inattendus : un Faust de Gounod, du Saint-Saëns, les trois disques Tragédiennes avec Véronique Gens… mais quand cela vous arrive, vous ne résistez pas !

En quoi jouer à La Scala est-il important pour Les Talens Lyrique ? 

La Scala de Milan, salle mythique pour l’opéra dans le monde entier, accueille peu de concerts de musique baroque jouée sur instruments anciens. J’y ferai mes débuts en tant que chef d’orchestre à La Scala. C’est à la fois un privilège incroyable et un immense honneur. La Calisto est une belle œuvre qui, bien que composée en 1651, traite de sujets très contemporains : les violences sexuelles, les abus, la tromperie. Pour ce programme, nous avons réuni une très belle distribution vocale, à la hauteur de ce théâtre prestigieux et des attentes d’un public milanais exigeant.

La pédagogie a toujours été au cœur de l’histoire des Talens Lyriques, pourquoi ?

J’aime beaucoup enseigner, au Conservatoire National Supérieur de Paris comme lors d’académies dans des institutions musicales européennes. J’aime transmettre ma compétence. L’idée de partager la musique avec des collégiens est venue quand nous étions aux abois, en manque de salles de répétition. J’ai sollicité la Mairie de Paris avec un « deal » : une répétition des Talens Lyriques est intéressante et peut apporter de la beauté à un gymnase, une école…  qui peuvent en manquer ! Très vite, les élèves se sont emparés de la chose, de même que les professeurs de musique, d’histoire, de français et les parents. C’était extrêmement touchant.

Pourquoi avoir créé l’application T@lenschool ?

Pour répondre à un problème : la pratique de la musique passe par quelque chose de difficile, de rébarbatif, on ne peut rien y faire ! À notre époque où il faut passer le moins de temps possible à l’apprentissage, comment rendre accessible la musique sans pratique musicale ? Nous avons enregistré le son de l’orchestre en pistes séparées et le proposons dans l’application. La moitié du public ne comprend pas comment fonctionne un orchestre. Il n’a pas conscience du rôle de la basse continue, d’un alto, d’un luth. Les trois applications que nous avons créées sont disponibles gratuitement. Très intuitives, elles fonctionnent même pour des ateliers avec des élèves non-francophones. L’une d’elle permet de jouer au clavecin « comme Christophe Rousset » ! On s’approprie la gestuelle, même sur tablette.

Offrir un contact à la beauté n’est jamais vain

Christophe Rousset, fondateur et chef d’orchestre des Talens Lyriques

En quoi ces actions culturelles sont-elles importantes ?

Ce que les collaborateurs de Société Générale peuvent vivre avec le projet « Playing for Philharmonie », nous l’avons ressenti avec les collégiens. Au début, il y a des résistances mais, au final, la musique est facteur de paix. J’ai constaté comment elle favorise le vivre ensemble dans un collectif pris par des problèmes de sécurité. C’était un atelier sur la danse autour de Alcina. Un chorégraphe venait danser un menuet avec un collégien. On a vu arriver l’adolescent nerveux, bousculant les autres. Dès que la musique a commencé, ils se sont mis à danser. C’était très fort… je me suis mis à danser avec eux ! Après ils iront sur YouTube écouter « des trucs » et me diront « je n’ai plus honte de dire que j’aime le classique ». Mon but n’est pas d’en faire des musiciens, ni même des mélomanes, mais d’offrir un contact à la beauté. Ce n’est jamais vain.

Que vous apporte le soutien de la Fondation Société Générale ?

Nous sommes très fiers d’avoir la Fondation Société Générale à nos côtés. L’économie des Talens lyriques est fragilisée dès que nous sortons des institutions. Nous manquons souvent d’argent pour aller dans de grands festivals. Grâce au mécénat musical de la Fondation Société Générale, nous allons pouvoir le faire. Ce mécénat intervient sur la totalité de l’activité, pour apporter une plus grande diversité dans la production. Je veux garder mon étiquette de « chercheur baroque », celui qui défend les causes désespérées ! Souvenez-vous de notre travail sur Lully. On disait de lui « c’est ennuyeux ». J’ai toujours pensé « c’est un génie ». Et notre enregistrement d’Alceste a été nominé aux Grammy Awards !