Maxime Pascal, l’opéra du futur

A 36 ans, Maxime Pascal est le directeur artistique et fondateur de l’ensemble Le Balcon. Réunissant à ses débuts en 2008 quelques amis étudiants au Conservatoire supérieur de musique de Paris, Le Balcon est aujourd’hui un ensemble reconnu et plébiscité pour son audace et sa qualité. Ses spectacles balayent toutes les périodes de l’histoire de la musique, avec une prédilection pour les œuvres des XXe et XXIe siècles. Comment Maxime Pascal voit-il l’avenir de la création ?

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Le Balcon - Maxime Pascal ©Meng Phu

Le Balcon a 15 ans cette année. Ressemble-t-il à votre ambition de départ ?

Oui ! Depuis le début je recherche l’excellence à tous les niveaux : la réalisation musicale, la performance du concert, mon rôle de chef, l’organisation du collectif. Là, on est pas mal, je trouve (rires). Nous sommes invités à jouer sur des scènes prestigieuses comme la Philharmonie de Paris, dans les grands opéras d’Europe et lors des meilleurs festivals comme celui de Salzbourg (Autriche). En 2018, Le Balcon s’est engagé dans la recréation de « Licht », le cycle de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) comprenant sept opéras soit vingt-neuf heures de musique. Nous allons bientôt atteindre notre but : l’automne prochain marque un point d’étape avec le quatrième volet de l’œuvre. En 2028 nous pourrons reconstituer les sept opéras en entier, sur les sept jours de la semaine, pour donner l’œuvre telle qu’elle a été rêvée par Stockhausen. Ce sera la première fois que la direction artistique de ces opéras est assurée par des personnes extérieures à la famille du compositeur.

Pourquoi ce projet Stockhausen est-il si important ?

« Licht » est l’œuvre la plus ambitieuse du XXe siècle. Composé entre 1977 et 2003, ce cycle de sept opéras ouvre le XXIe siècle. Ses 29 heures de musique mobilisent des moyens techniques et artistiques extraordinaires. Stockhausen, le plus grand compositeur de son temps, a consacré toute la fin de sa vie à cette seule œuvre, immense et visionnaire. Il n’y a pas de comparaison possible. Si à l’époque un tel cycle était difficile à concevoir et à réaliser, aujourd’hui il est à portée de main. « Licht » préfigure l’avènement du réseau. Par exemple, l’opéra mobilise quatre hélicoptères dans lesquels quatre musiciens jouent la même musique en même temps. Aujourd’hui, il est possible de réunir dans un même lieu des musiques réalisées simultanément à distance : on l’a bien vu pendant le confinement. Le village global voulait dire quelque chose pour Stockhausen ! Il est allé au bout du délire cosmique et technologique ! Nous n’irons sans doute pas plus loin dans le grandiose.

Le Balcon - Like Flesh - Hélène Hauchere ©Simon Gosselin
Like Flesh

Comment ce travail irrigue-t-il vos autres projets ?

Par cette recherche de voies nouvelles. Récemment nous avons créé à l’Opéra de Lille « Like Flesh », opéra de la compositrice Sivan Eldar (née en 1985) sur un livret de Cordelia Lynn (née en 1989). « Like Flesh » comprend une grande partie de musique électronique et nous utilisons des haut-parleurs pour créer une immersion musicale particulière. Le son arrive par en dessous, afin d’envelopper l’auditeur dans un son qui évoque le végétal. « Like Flesh » est une réflexion sur notre rapport à la nature. Stockhausen fut l’un des pionniers de ce genre de dispositifs. Pour nous, ce n’est pas juste un effet de performance. Le langage du compositeur, en l’occurrence pour « Like Flesh », de la compositrice, est lié à ce dispositif technique. Le tout donne une musique nouvelle. Sivan Eldar réconcilie les courants qu’on pourrait assimiler à l’écologie musicale, représentés par des compositeurs comme Salvatore Sciarrino (né en 1947), avec la technique et la technologie actuelle, notamment l’électronique musicale. Si la poésie de la musique des compositeurs de cette génération a eu du mal à entrer en résonance avec la technologie de l’époque, aujourd’hui l’électronique musicale facilite leur connexion à la poésie.

 

Ces compositeurs étaient-ils très en avance sur leur époque ?

Oui tout à fait. Les compositeurs qui me touchent le plus, comme Karlheinz Stockhausen, Salvatore Sciarrino et aussi Morton Feldman (1926-1987) et Gérard Grisey (1946-1988), ont été, de leur vivant, marginalisés. Aujourd’hui, je vois l’impact direct de leur musique auprès des jeunes auditeurs. Quand nous avons donné « Like Flesh » à Montpellier, de jeunes spectateurs sont venus à notre rencontre. Ils étaient curieux de comprendre pourquoi l’opéra les touchait. Cette génération et la précédente ont baigné dans la musique électronique. Les oreilles du XXIe siècle sont tout particulièrement réceptives à ces musiques-là, c’est aussi simple que ça.

Aujourd’hui, à l’ère des expériences immersives et de la réalité augmentée, l’opéra devient par excellence un lieu idéal pour les propositions post-cinématographiques. Et toujours, le lieu d’un contact unique avec le son.

Maxime Pascal

Pourquoi ces jeunes sont-ils séduits par la forme opéra ?

L’opéra est un art total, qui mélange plusieurs arts : il est impressionnant pour tout le monde, de tout temps. L’opéra était un genre pré-cinématographique : il préfigure des principes de montage, de collage, de gros plan sur un personnage, un élément de l’intrigue. L’opéra était un genre tridimensionnel en Italie, dans les théâtres où les spectateurs sont disposés en arc-de-cercle. Il s’est « frontalisé » avec Wagner qui, à la fin du XIXe siècle, a fait construire à Bayreuth (Allemagne), une salle où l’orchestre est caché des spectateurs. En faisant ça, on peut dire qu’il annonce l’expérience en deux dimensions du cinéma. Aujourd’hui, à l’ère des expériences immersives et de la réalité augmentée, l’opéra devient par excellence un lieu idéal pour les propositions post-cinématographiques. Et toujours, le lieu d’un contact unique avec le son.

 

Comment imaginez-vous lopéra du futur ?

En reprenant sa place d’art vivant. En utilisant les outils modernes pour offrir à nouveau cette expérience immersive qu’est l’opéra. « Like Flesh » est un bon exemple de cette recherche. Le spectacle vivant, l’opéra, n’a aucun mal à intégrer l’électronique ou la vidéo comme éléments de langage mais ce n’est pas la technique qui fait la réussite d’une œuvre, le fait qu’elle génère de l’émotion ou pas. En 2008, j’ai échangé avec les équipes de Google et des créateurs de jeux vidéo sur le sujet de la réalité augmentée au service de la création : je n’ai rien trouvé de pertinent.

 

Pourquoi la réalité augmentée ne vous a pas séduit ?

Dans une salle ou un metaverse, l’opéra reste toujours au final un spectacle pour les yeux et les oreilles. Les yeux et les oreilles sont les portes d’entrée de l’âme, cela fait des millénaires qu’on sait les stimuler. Et je crois qu’on peut encore aller plus loin avec les yeux et les oreilles, réalité augmentée ou pas. On peut imaginer qu’un jour, grâce aux nouvelles technologies, nous aurons la capacité d’entendre plus de sons et de voir plus de couleurs, comme certains animaux. Le jour où ce sera le cas, la technologie aura véritablement bouleversé notre rapport à l’art. Mais nous n’en sommes pas encore là !

Extrait de Samstag aus Licht de Karlheinz Stockhausen avec Maxime Pascal à la Direction musicale en clôture de ManiFeste 2019.

Crédits photo : Meng Phu / Simon Gosselin