L’insertion professionnelle ne sera plus jamais pareille après ce confinement

Après avoir découvert la situation et les actions mises en place par trois acteurs de l’insertion professionnelle dont elle est partenaire, la Fondation Société Générale a souhaité s’intéresser aux impacts long-terme de ce confinement sur le secteur.

Si la situation a évidemment été dramatique à court-terme pour l’ensemble de ses acteurs, il est important d’en retirer tous les enseignements disponibles pour que cela serve pour se préparer au mieux à toutes les crises qui pourraient surgir à l’avenir.

Découvrons donc les leçons de ce confinement et les bonnes pratiques qui ont émergé au fil des semaines passées à tenter de servir au mieux les bénéficiaires.

 

« Le COVID a bouleversé nos certitudes"

« Je faisais partie des gens qui pensaient que la formation en ligne n’était pas faite pour l’Afrique », nous explique Bouna Kane, directeur Afrique de Simplon et partenaire prioritaire du programme de la Fondation sur le continent.

Il nous raconte alors comment Simplon avait recruté une promotion de cinquante femmes au Sénégal pour une formation aux compétences numériques fondamentales. Celle-ci devait s’étendre sur sept semaines de présentiel, mais la crise sanitaire est arrivée au terme de la première.

Les six semaines ont été réalisées en ligne, sans le moindre décrochage.

Une surprise pour Bouna qui n’hésite pas à parler de ce moment comme étant un déclic : « Le COVID a bouleversé nos certitudes ».

S’il ne faut surtout pas oublier que le passage des formations vers le online n’a rien d’une solution universelle (puisqu’il faut à la fois répondre aux problématiques de matériel, de connexion, et que cela laisse toujours de côté les nombreuses personnes qui n’ont pas les compétences de bases nécessaires pour suivre ces formations), Simplon a découvert quelques bonnes pratiques qui lui ont permis de maintenir ses formations dans la majorité des cas.

Le plus important aura été le suivi rapproché des apprenantes. Il n’est en effet pas question de proposer une simple plateforme de e-learning où les bénéficiaires sont livrés à eux-même. Pour cette promotion de cinquante femmes, ce ne sont ainsi pas moins de quatre formateurs qui suivaient individuellement le parcours des apprenantes.

Après tout, la pédagogie active est au coeur de la méthode de Simplon et l’ensemble des bénéficiaires avaient l’obligation de se connecter chaque matin pour débriefer de son projet en cours. L’objectif était clair : ne jamais leur laisser le temps de se sentir abandonnées sur la plateforme.

La pratique se retrouve de la même manière chez Konexio, entreprise sociale partenaire de la Fondation depuis Juin 2019 sur la formation aux compétences numériques des personnes réfugiées en France.

Nous avions l’habitude de proposer des ateliers collectifs de compétences transverses réalisés physiquement au sein des entreprises. Pour s’adapter à la situation actuelle, ces ateliers se sont transformés en rendez-vous 1 to 1 où les apprenants sont « matchés » avec des professionnels.

Jean Guo de Konexio

Le contenu est évidemment différent puisque cela s’est très vite transformé en moment de soutien à distance totalement personnalisé aux besoins : que ce soit pour remettre à jour un CV ou de parler de son projet professionnel.

Emmanuelle Larroque, CEO de Social Builder dont la Fondation est partenaire sur un programme destiné aux femmes en situation de précarité de Seine-Saint-Denis, partage ce constat : il faut recréer du lien pour compenser l’éloignement induit par le online.

« C’est dans notre ADN que de mettre la communauté avant tout. Donc on continue à cultiver ce lien privilégié pour que les gens se rencontrent, continuent de créer du sens, à vouloir travailler ensemble ».

Social Builder a donc multiplié les rencontres virtuelles et les moyens de maintenir ce sentiment communautaire.

De fait, Emmanuelle Larroque désigne ses responsables de programmes comme étant la « hotline » : elles sont en contact avec leurs bénéficiaires au quotidien, où elles sont invitées à partager tout ce qui pourrait les bloquer dans leur insertion.

Un moyen d’avoir plus d’impact ?

La question se pose très vite à l’ensemble des acteurs : si le présentiel amène une limite inhérente sur le nombre de bénéficiaires, le passage vers des solutions en ligne pourrait promettre une multiplication de l’impact en ouvrant des promotions beaucoup plus larges.

Bouna Kane nous confirme que cela vient questionner le modèle historique de Simplon, les invitant à privilégier davantage de online même après la fin du confinement.

La vocation de Simplon, c’est de faire de l’impact social. Et l’impact social, c’est former le plus grand nombre de personnes possibles. Jusqu’ici on formait des promotions de cinquante femmes en présentiel. Peut-être que demain, nous pourrions multiplier ce chiffre grâce au online.

Bouna Kane, Directeur Afrique de Simplon

Le questionnement est en cours et Bouna est encore incapable de nous dire s’ils se dirigeront davantage vers un parcours en ligne à côté du parcours en présentiel, ou bien si ce sera sous la forme d’une formation « blended », à mi-chemin entre les deux.

Il tempère pourtant aussitôt l’effet multiplicateur de ces stratégies. Pour maintenir la qualité des formations, il faudra encore et toujours offrir un suivi individualisé des bénéficiaires. Cela limite donc drastiquement le nombre de participants, même dans un scénario qui privilégierait la formation à distance.

C’est le même raisonnement du côté de Social Builder où Emmanuelle Larroque se dit partisane d’ouvrir au maximum les formations :

« Notre rôle, c’est de donner accès au plus de compétences et de savoirs possibles ».

Elle ne s’imagine pourtant pas transformer son modèle vers du 100% en ligne :

« La perte sèche c’est quand même le lien humain. Il n’y a rien à faire… un écran c’est « boring » (rire). Il y a quelque chose qui n’est pas dans notre ADN. »

Femme devant son ordinateur, smartphone à la main

L’ouverture vers plus de solidarité ?

De son côté, ce que remarque Jean Guo de Konexio, c’est combien cette période a permis l’ouverture de nouvelles solidarités. Les acteurs de l’insertion professionnelle, qui travaillaient en silos, ont eu besoin de se rapprocher pour répondre plus efficacement à cette crise sanitaire sans précédent. C’est ainsi que son entreprise sociale a été mobilisée par les équipes de Cédric O, secrétaire d'État chargé du Numérique, pour apporter un soutien à une initiative nommée Solidarité Numérique : numéro vert et plateforme pour toutes personnes déconnectées.

Mais le sentiment est partagé par de nombreuses associations qui voient des alliances se créer en quelques semaines là où elles n’avaient jamais concrétisé une action commune après plusieurs années d’échanges.

 

Vers un secteur plus agile

Mais le dernier apprentissage de cette crise, c’est peut-être le besoin de rester extrêmement agile pour ces acteurs de l’insertion professionnelle.

Il faut s’adapter très vite. Il nous faut nous demander de quoi nous allons avoir besoin, de quels métiers. Il ne faut pas se montrer dogmatique et ajuster nos offres aux besoins.

Emmanuelle Larroque,CEO de Social Builder

En disant cela, celle-ci nous livre que Social Builder ne restera pas forcément fidèle à sa tradition de se concentrer sur les métiers du développement informatique.

« On fera ce qu’il faut : on s’adaptera aux besoins du marché du travail ».