En ce printemps 2022 sort un enregistrement phare dans le parcours d’un ensemble que nous soutenons de longue date : l’orchestre Les Siècles. Ses musiciens, son chef et fondateur François-Xavier Roth et une équipe de chanteurs solistes français de renom se réunissent autour d’un monument de la musique française, et plus précisément du répertoire lyrique du début du XXème siècle : Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Ce livre-disque comportant trois CD et quelques 250 pages de textes paraît chez le prestigieux label Harmonia Mundi.
Véritable balise dans l’histoire de la musique, Pelléas et Mélisande est un opéra en cinq actes, crée en 1902. Il a défrayé́ la chronique lors de ses premières représentations dans la salle de l’Opéra Comique à Paris. L’histoire est basée sur la pièce de théâtre de l’écrivain belge Maurice Maeterlinck. Claude Debussy a toujours été inspiré par l’avant-garde des poètes de son temps. Verlaine et Mallarmé́ sont les principaux auteurs des textes qu’il a mis en musique dans ses recueils de mélodies. Pourtant, il lui a toujours manqué un auteur de théâtre avec qui il pourrait passer le cap et composer un opéra à la hauteur de ses modèles, Richard Wagner et Jules Massenet. Car ce qui est possible dans de petites œuvres destinées aux salons et aux cercles restreints l’est moins dans les grandes salles parisiennes : « Depuis longtemps je cherchais à faire de la musique pour le théâtre, écrit Claude Debussy, mais la forme dans laquelle je voulais la faire était si peu habituelle qu'après divers essais j’y avais presque renoncé. »
Pelléas et Mélisande aiguise les extrêmes, entre ceux qui l’adorent et ceux qui ne le comprennent pas. C’est un opéra dont je me sens très proche, et plus je l’étudie et le dirige plus je trouve qu’il est difficile et énigmatique.
François-Xavier Roth
Un opéra qui interpelle
En assistant à une représentation de la pièce de théâtre de Maeterlinck, l’idée lui vient d’enfin oser composer un opéra. Est-ce l’ambiance mystérieuse de la pièce qui a attiré́ Claude Debussy ? Dans une forêt profonde, le prince Golaud trouve une jeune fille en pleurs : Mélisande. Il ne sait rien d’elle. Pourtant il l’épouse et la ramène dans sa famille. Dans le château face à la mer agitée, Mélisande fait la connaissance de Pelléas, son beau-frère. Ils tombent amoureux… Claude Debussy a-t-il vu dans cette histoire d’amour interdite entre deux jeunes gens qui ne s’avouent jamais leurs sentiments une métaphore de sa propre impossibilité́ à faire entendre au monde son langage musical ? Toujours est-il que de cette rencontre avec le livret de Maeterlinck est né un opéra dont la modernité́, plus d’un siècle après sa création, continue d’interroger.
« Pelléas et Mélisande aiguise les extrêmes, entre ceux qui l’adorent et ceux qui ne le comprennent pas, analyse François-Xavier Roth dans le livret qui accompagne l’enregistrement. C’est un opéra dont je me sens très proche, et plus je l’étudie et le dirige plus je trouve qu’il est difficile et énigmatique. » Le chef de l’orchestre Les Siècles explique combien cette œuvre est importante pour son ensemble. Il est d’abord un souvenir personnel : Pelléas et Mélisande est le premier opéra que Roth a dirigé́ comme jeune chef à Caen en 2002. C’est ensuite, un jalon fondamental du parcours de l’ensemble qu’il a fondé́ en 2003.
Les couleurs d’origine de la musique
Depuis près de 20 ans, Les Siècles s’efforcent de restituer le répertoire français dans son instrumentation d’origine, avec le geste d’interprétation le plus fidèle à l’esprit des grands noms du patrimoine musical français. Pour redonner leurs couleurs d’origine à la musique de Hector Berlioz, George Bizet, Camille Saint-Saëns et Claude Debussy, les musiciens de l’orchestre Les Siècles utilisent des instruments d’époque, les plus proches possible de ceux qu’entendaient les compositeurs en leur temps.
Sur les instruments à cordes par exemple, Les Siècles préfèrent mettre des cordes en boyau aux cordes métal moderne. « Les cordes en boyau apportent une infinie douceur, explique François-Xavier Roth. Je ne pourrais plus vivre sans. Elles portent les voix et en même temps les enrobent ». Un parti pris qui oblige musiciens et chanteurs à redoubler de rigueur dans le travail de répétition, car les repères ne sont pas les mêmes avec des instruments modernes qui offrent plus de puissance.
S’ajoute un travail de relecture où François-Xavier Roth a remis en question les choix de ses prédécesseurs en matière d’interprétation. « J’ai voulu revenir au texte musical, argumente le chef d’orchestre. On a remis tout à plat. Au service du texte de Debussy avec des chanteurs qui ont pu travailler dans la profondeur. » Autour de l’orchestre et de son chef, d’excellents solistes sont mobilisés Vannina Santoni (Mélisande), Julien Behr (Pelléas), Alexandre Duhamel (Golaud), Jean Teitgen (Arkel), Marie-Ange Todorovitch (Geneviève). L’enregistrement a été capté les 20 et 21 mars 2021 à l’Opéra de Lille.
Une version enfin complète
Avec cet impératif de pureté́ du son et de fidélité́ absolue aux œuvres, Les Siècles ont trouvé leur identité, et ainsi ont pu se distinguer très clairement dans le paysage musical français. Leurs interprétations de la Symphonie Fantastique de Berlioz ou de Daphnis et Chloé́ de Ravel sont devenues des références, en plus d’être de grands succès critiques. Forts de ses réussites comme de la qualité́ de ses musiciens, l’ensemble historique s’est donné pour objet de passer en revue le répertoire français dans son champ le plus large possible. Une odyssée musicale de longue haleine qui traverse quelques points cardinaux, dont ce Pelléas et Mélisande fait incontestablement partie.
François-Xavier Roth utilise dans cet enregistrement la version définitive et complète de la partition. En effet, quelques mesures avaient été supprimées par la censure en 1902 : un passage au cours duquel le mari jaloux, Golaud, manipule son fils, le garçon Yniold, pour qu’il espionne Mélisande dans sa chambre. Grace aux Siècles, On découvre ces mesures inédites dans cette nouvelle version du chef-d’œuvre de Debussy.
