L’ensemble Le Balcon redonne corps à L’opéra de quat’sous
Il est au cœur de l’actualité musicale cet été. Maxime Pascal, le chef d’orchestre fondateur de l’ensemble Le Balcon, dirige à la Comédie française une nouvelle production de « L’opéra de quat’sous », un opéra rare, qui résonne avec l’actualité. Entretien.
« L’opéra de quat’sous », est-il vraiment un opéra ?
Oui et non ! Sur la partition, l’œuvre est mentionnée comme « une pièce avec musique ». Elle reprend l’histoire imaginée par l’Anglais John Gay en 1728 pour un « opéra balade », un genre de théâtre musical. Néanmoins, il ne ressemble pas à un opéra classique. « L’opéra de quat’sous », écrit en 1928 par Bertolt Brecht et Kurt Weill avec la collaboration d’Elisabeth Hauptmann, se veut une réponse à la crise de l’opéra des années 1920 en Europe, et notamment en Allemagne. L’opéra devenait, selon les auteurs, trop aristocratique et ampoulé. Après la révolution musicale proposée le siècle précédent par Richard Wagner, ils avaient l’idée de changer radicalement de direction. Leur œuvre est en ce sens un anti-opéra. A chaque minute ou presque, il se situe en opposition.
Pourquoi faites-vous appel aux membres de la Comédie française pour le chanter ?
La partition n’est pas conçue pour des chanteurs lyriques, mais vraiment pour des hommes et femmes de théâtre. « L’opéra de quat’sous » ne doit pas être chanté comme « Carmen » de Bizet, la place de la voix n’est pas la même. Bertolt Brecht avait un grand projet de révolution artistique reposant sur l’idée d’un réalisme implacable. La vraie vie fait irruption sur le plateau. Pour toutes ces raisons, il était donc nécessaire de mobiliser des comédiens plus que des chanteurs. Dans le travail de l’orchestre aussi tout change. Dans l’opéra habituel, on cherche la fusion entre la musique et le texte, entre le son et le sens. Avec « L’opéra de quat’sous », on accroche tous les paramètres musicaux de la voix (rythme, dynamique, etc.) à la déclamation. Comme c’est la déclamation qui prime, les comédiens ne doivent pas être contraints par le solfège. On a travaillé pour qu’ils sachent être libres. Aux musiciens du Balcon de s’adapter !
Le propos de « L’Opéra de quat’sous » est très actuel…
C’est vrai et c’est triste : le texte évoque des points qui n’ont pas progressé depuis cent ans. « L’opéra de quat’sous » est une œuvre qui parle des gens broyés par le capitalisme et le libéralisme. Et de la forte montée de l’extrême droite que, malheureusement, on observe partout en Europe. Je suis très heureux d’avoir participé à montrer cette œuvre aujourd’hui. « L’opéra de quat’sous » parle d’un couple qui organise la mendicité à Londres avec la même attention que s’il dirigeait une entreprise. Le livret parle d’un criminel de masse, des morts de la guerre, de la police corrompue, de femmes violentées qui se prostituent pour survivre. Ce qu’il y a de beau et d’utopique dans le projet Brecht et Weill, c’est de donner corps à des marginaux, et de faire entendre le langage marginal, des voix marginales… C’est rare à l’opéra !
Que l’on soit musicien ou spectateur aimant l’opéra, en voyant ou en faisant ce spectacle, on remet en question le rôle de l’opéra. C’est très perturbant et très bouleversant. « L’opéra de quat’sous » met le genre opéra face à ses contradictions : il critique l’argent mais dans une forme, l’opéra, qui coute cher à produire, à l’époque comme aujourd’hui. C’est une œuvre bourgeoise qui critique la bourgeoisie. Elle l’était dès le départ.
Le texte a-t-il été changé pour être plus actuel ?
Oui. Dès le début du projet, nous avions le désir de réaliser une adaptation du texte original, qui est en allemand. L’Arche éditeur, qui publie en français les œuvres de Bertolt Brecht, souhaitaient de leur côté faire réaliser une nouvelle traduction. Cette mission a été confiée à Alexandre Pateau. Il est également musicien, et nous avons travaillé ensemble pour adapter le texte en n’oubliant pas qu’il sera chanté. De même, la Fondation Kurt Weill, qui a les droits sur l’œuvre du compositeur, a validé des adaptations que nous proposions sur la musique. « L’opéra de quat’sous » est protéiforme, une œuvre écrite et orale et donc en mouvement : elle évolue tout le temps, comme à sa création.
Du 25 septembre au 5 novembre à La Comédie française.