« Le sport est un outil pour remettre la personne en pleine conscience de ses apprentissages »
Présentez-nous le think tank VersLeHaut et son travail
Le think tank VersLeHaut est une association à caractère scientifique spécifiquement dédiée à l'éducation et à la jeunesse. L’association a été fondée en 2015 par de grands acteurs de la protection de l'enfance qui étaient convaincus qu’un débat éducatif trop centré sur l'école passait à côté des besoins des jeunes, notamment en termes de connaissances, de relations et de confiance en eux.
VersLeHaut vise à dépasser les frontières qui existent entre l'école, les activités périscolaires et les familles pour remettre l'éducation au cœur de notre vie sociale. Il cherche notamment à mettre en avant la nécessaire relation entre les différents acteurs qui entourent les jeunes et dont ils ont absolument besoin pour grandir. L’objectif est de sortir d’un fonctionnement en silo où les différentes sphères éducatives autour du jeune ne se parlent pas.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de l'étude Le sport, terrain d’éducation ? Comment ce projet est-il né ? Est-ce un sujet qui a déjà été beaucoup étudié sous cet angle ?
Cela fait un moment que le système éducatif français souffre de la part trop exclusive qu’il donne aux apprentissages intellectuels. Cette dimension est petit à petit prise en compte par l'école sous l'angle de ce qu'on appelle les enseignements transversaux ou de ce qu'on appelle aujourd'hui plus communément les compétences psychosociales. En d’autres termes, comment, au-delà des mathématiques, de l'Histoire, du français, on aide un jeune à être bien dans sa peau, à savoir entrer en relation ou coopérer.
Ces enjeux de développement de la personne, de bien-être, de confiance en soi sont de plus en plus prégnants, notamment pour les jeunes qui sont en difficulté à l'école. Notre pari était de dire que derrière les jeunes en difficulté à l'école, derrière les décrocheurs, il y a probablement une grande majorité d’enfants qui ne trouvent pas dans l'éducation scolaire de réponses concrètes à leurs besoins. Et nulle part ailleurs que dans le sport, c’est à ce point visible.
Par exemple, à l'entrée dans la puberté, les filles ne vont plus à la piscine. On se rend compte de plus en plus que les espaces, comme les cours de récréation, sont majoritairement occupés par une minorité d'enfants qui ont des activités très prenantes. Il ne s'agit pas de culpabiliser les uns ou les autres, mais de dire que, probablement, dans notre dynamique scolaire, on ne prend pas assez en compte l'enfant derrière l'élève, et le corps derrière l'esprit. Or, ses besoins sont immenses.
On a tendance à penser en France que l'école s'occupe de l'instruction et que la famille s'occupe de l'éducation. Au fond, notre volonté d'aller sur le terrain du sport vise précisément à montrer qu’il n’y a rien de plus faux. Les familles ne sont plus ce qu'elles étaient. Aujourd'hui, un enfant sur quatre vit dans une famille monoparentale, et un sur cinq vit dans une famille sous le seuil de pauvreté. Il faut sortir de cette approche trop exclusivement intellectuelle de l'éducation. Cela veut dire que dans l'école, il doit y avoir des enseignants, bien sûr, mais il doit y avoir aussi beaucoup plus d’éducateurs. Le sport est une porte d'entrée vers la personne, vers ses besoins en termes de développement de l'enfant, au-delà de la capacité de l'élève à recracher les savoirs académiques.
Guillaume Prévost a présenté en avant-première son étude, lors de la journée des partenaires Education par le sport, le 4 avril dernier. Crédit photos : Edouard Monfrais-Albertini
Quels sont les apprentissages clés que vous avez vus à la suite des entretiens que vous avez menés ? Y a-t-il eu des surprises ? Vous dites notamment que le sport pourrait être une réponse pour mettre en place une école qui serait vraiment inclusive.
Cette question de l'école inclusive est très riche parce qu’au début, on a posé la question de l'inclusion des enfants en situation de handicap mais en fait, on s'est rendu compte que derrière les troubles de l'attention, derrière les besoins sociaux particuliers, derrière les familles issues de l'immigration, il y avait des besoins éducatifs particuliers. Aujourd'hui, on estime que 10 à 15 % des enfants sont considérés comme ayant des besoins éducatifs particuliers. Au fond, pour ceux qui côtoient un peu des enfants, quel enfant n'a pas de besoins éducatifs particuliers ? On se rend compte en tout cas qu’il y a de très fortes convergences.
C'est d’abord l'observation de l'enfant. On ne peut pas prétendre répondre durablement aux besoins éducatifs de l'enfant sans l’observer. Or, aujourd'hui, le système éducatif ne prend pas la peine de la connaissance préalable de l'enfant. Pourtant, quel meilleur outil pour connaître l'enfant que le sport ? Dans cette étude, on découvre notamment qu’il y a de nombreux enseignants qui font des choses d'ores et déjà remarquables, mais qui sont complètement passées sous les radars : une professeure de mathématiques qui fait un cours de yoga pour aider ses enfants à entrer dans la matière, une directrice d'école qui met en œuvre des randonnées dès le plus jeune âge, des enseignants qui se servent du sport pour aller à la rencontre des parents et les impliquer dans les apprentissages. En parlant aux enseignants, on se rend compte de l'immense variété des réponses éducatives qui ont été apportées partout dans toute la France pour aller à la rencontre de ces besoins auxquels on n'a pas apporté de réponses institutionnelles.
C'est particulièrement vrai dans le champ du handicap. Aujourd'hui, 50 % des enseignants-candidats pour être référents en matière d'école inclusive sont des enseignants d'EPS. C'est très intéressant car c'est comme si, pour les enseignants d'EPS, cette personnalisation de l'apprentissage, ce rapport à l'enfant au-delà du rapport à l'élève était évident et naturel.
Derrière la question du sport et des activités physiques et sportives, il y a la question de la présence. En fait, le sport est un outil pour remettre la personne en pleine expression et en pleine conscience de ses apprentissages, et ce qui est vrai pour l'enfant est aussi vrai de l'enseignant, de l'éducateur ou du parent.
Enfin, qu'est-ce que vous espérez que cette étude apporte au secteur du sociosport ? Où faut-il porter vos recommandations ? Y a-t-il des chiffres sur les moyens à mettre en place pour que cela marche ?
Mon sentiment, c'est que les moyens sont déjà là. Depuis 2010, dans le cadre du plan d'investissement d'avenir, on a investi 10 milliards d’euros dans les innovations pédagogiques éducatives. Dans le cadre de la politique de la ville, certains travaux chiffrent à près de 10 milliards d’euros par an les crédits déployés. Il y a 18 mois, le Président de la République a annoncé la création d’un fonds d'innovation pédagogique dont les crédits n’ont même pas été dépensés aujourd'hui. Ce qui est décisif dans notre capacité à dépasser les défis auxquels on fait face depuis maintenant au moins 40 ans, c’est qu’il faut probablement changer de posture. On voit bien que la réforme de 2014 a échoué sur son incapacité à emmener les acteurs de terrain, les collectivités, les parents, les enseignants et les éducateurs.
Les réponses au défi éducatif ne viendront pas du ministre ou d'un décideur politique, quelle que soit sa couleur. Elles viendront du terrain, elles impliquent de faire confiance aux personnes. Elles impliquent de donner aux acteurs de terrain les moyens pour mettre en place les réponses aux besoins éducatifs des enfants qui sont évidents sous leurs yeux. Quand un enfant ne peut pas entrer dans l'apprentissage parce qu'il a un trouble de l'attention, qu'il est incapable de rester assis sur une chaise, que faites-vous ? Vous êtes obligé d'apporter des réponses nouvelles. Au lieu de créer de nouveaux dispositifs auxquels plus personne ne comprend rien, il faut donc donner aux acteurs de terrain les moyens de mettre en œuvre des réponses adaptées. Cela implique aussi de changer un peu notre regard sur l'égalité, car l'égalité, ce n'est pas forcément la même chose pour tout le monde, c'est plutôt à chacun selon ses besoins. Et c'est là, à mon avis, le grand enseignement du sport pour l'éducation.