La drôle histoire du cor de postillon

Artifices - Le Postillon ©Seulétoile

Tout commence par une note. Un Si bémol. « Parmi les partitions écrites par Antonio Vivaldi, il existe des centaines de concertos pour violon, explique Alice Julien-Laferrière, violoniste. Le plus fameux est « Les Quatre saisons » mais il en existe un autre dans lequel le compositeur italien demande au violon d’imiter « le cor de postillon ». Vivaldi écrit deux notes, un Si bémol répété deux fois. J’ai retrouvé ces même deux notes dans une partition de Johann Sebastian Bach (1685-1750), cela m’a intrigué ». La directrice de l’ensemble Artifices, un groupe de musiciens curieux et experts dans l’interprétation de la musique baroque, a continué à creuser, soutenu par le Musée de La Poste, à Paris. « J’ai trouvé encore ce jingle dans une autre partition de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) puis de Georg Philipp Teleman (1681-1767). Et j’ai compris que ce motif musical était le son que faisaient les postiers allemands. »

En sonnant son cor il [le postillon] fait ouvrir les portes des villes, prévient qu’il va galoper à tout allure et même doubler les autres « véhicules ». C’est une sorte de gyrophare !

Alice Julien-Laferrière

L’ancêtre du gyrophare

Le Cor de postillon est un cor enroulé assez typique qui était et est toujours aujourd’hui le symbole de la Deutsche Post, la poste allemande. « Mais c’est aussi le symbole de la poste dans plein de pays d’Europe, nous apprend la violoniste. J’ai consulté un livre sur l’histoire des télécommunications allemandes et j’ai compris que tout le réseau postal du Saint Empire romain germanique était organisé par une grande famille, la maison princière de La Tour et Tassis ». Les différentes branches de cette famille organisèrent et gérèrent jusqu’au XIXe siècle les postes non seulement au sein du Saint Empire romain germanique, mais encore en Espagne, en Autriche, en Italie, en Hongrie, aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg

Les Tour et Tassis adoptèrent le cor comme attribut et outil des postillons. A cheval le plus souvent, ils sonnaient leur cor pour annoncer leur venue.  « A l’époque, envoyer du courrier n’est pas donné à tout le monde, poursuit Alice Julien-Laferrière. Le postillon transporte une missive importante, urgente, écrite par une personne puissante. En sonnant son cor il fait ouvrir les portes des villes, prévient qu’il va galoper à tout allure et même doubler les autres « véhicules ». C’est une sorte de gyrophare. Et comme pour le gyrophare, seuls les postillons ont droit de porter et jouer du cor. Le port illégal du cor de postillon est passible d’amende et, dans certaines circonstances, de châtiments corporels ! »

Artifices - Notes Postillon ©Seulétoile

Une philosophie de vie

Que jouait le cor de postillon ? Deux notes. Si bémol-Si bémol. « Ce qui est très étrange, précise la violoniste, c’est qu’il est très difficile de jouer ces deux notes avec cet instrument. » Ce constat, le philosophe danois Søren Kierkegaard, au XIXe siècle, en a fait matière à réflexion : dans un texte fameux il explique que le cor de postillon est une métaphore de la vanité de la vie. « Il pose sur sa table un cor de postillon pour se rappeler qu’on ne peut faire deux fois exactement la même chose ! », s’amuse la violoniste. Et les plus grands compositeurs allemands ont repris ce jingle dans leurs partitions… mais joué par d’autres instruments plus à l’aise pour obtenir deux fois un si bémol !

La violoniste enquêtrice a cherché à savoir comment se passaient les choses en France. « Une fois de plus, nous sommes les irréductibles gaulois ! Louis XI invente un maillage de relais postaux partout dans son royaume. Les postiers sont à cheval. Ils ont aussi un instrument mais je n’ai pas encore trouvé traces d’une partition, d’un jingle particulier. ».

 

 

En attendant de poursuivre son enquête, l’ensemble Artifices a construit un spectacle humoristique sur cette histoire. Le personnage principal est un clown allemand qui incarne un postillon débarqué du XVIIIe siècle. Il est bien embêté car il n’arrive pas à faire sonner son cor. Il a fallu même pour les besoins du spectacle construire une copie du fameux cor, dont il n’existe qu’un plan de montage dans un livre ancien d’une bibliothèque… anglaise. Les dix musiciens de l’ensemble Artifices, accompagnent cette clownerie des merveilleuses partitions de Bach, Telemann et Vivaldi et des pièces aux titres évocateurs tel que La Diligence, Le Courrier ou Le Postillon.

Ce spectacle est à voir en France :

Le livre-disque « Sonne, sonne, cor de postillon » est paru aux éditions Seulétoile.

Crédits photos : Seulétoile