Julien Chauvin : « Avec Haydn, la musique est spontanée. Avec Mozart c’est… divin ! »

Après avoir exploré avec passion la musique de Joseph Haydn, l’ensemble Le Concert de la Loge poursuit le fil de l’histoire de la musique avec le fils spirituel de Haydn : Mozart. Un compositeur populaire qui séduit un large public. Et des musiques qui permettent aux musiciens, jouant sur instrument baroques, d’explorer des formats de concert différents pour mieux faire entendre le son de cette époque « classique ». Les explications de Julien Chauvin, violoniste et directeur de l’ensemble Le Concert de la Loge.

Contenu
Concert de la loge

Faut-il choisir entre Wolfgang Amadeus Mozart et Joseph Haydn ?

Grande question. J’ai fait récemment un test de personnalité et il apparaît que je suis un profil « entrepreneur », qui laisse toujours ouvertes les options pour choisir au dernier moment. Le Concert de la Loge, pour la saison 2022/2023, a opté pour Mozart. Les musiciens et moi pouvons nous attaquer à Mozart car nous avons fait tout ce qu’il fallait pour cela. Nous avons passé plusieurs saisons avec Joseph Haydn, qui a inventé ou mis au point beaucoup de formats dans la musique dite classique. Il est considéré comme le père de la symphonie, du quatuor à cordes, etc. Haydn a exploré dans toutes les directions, jusqu’à l’opéra. Quand après tout ceci, nous approchons Mozart, nous n’avons pas le même cerveau.

 

Est-ce que votre perception de Mozart a changé ?

C’est d’abord ma perception de Haydn qui a changé. Au début je m’étais dit : « Haydn c’est intéressant, personne ne le fait ». Cela permettait au Concert de la Loge de se démarquer. Et puis nous avons joué… J’ai alors découvert que cette musique était encore mieux que je le pensais. Chaque partition est incroyable.

Avec la musique de Mozart, c’est différent. En tant que musiciens, nous connaissons la filiation entre Haydn et Mozart. Ils étaient amis et « papa Haydn », comme on le surnommait, a guidé le jeune Mozart. On voit dans la musique de l’un comme de l’autre des points communs dans les thèmes, les textures sonores, les structures de leurs compositions. Après tout ce que nous avions vécu avec Haydn, Mozart aurait pu passer pour consensuel car il est carré, plus « classique ». Si Haydn testait plein de trucs bizarres, Mozart les a digérés. Et pourtant. Avec Haydn, la musique est humaine, vivante, spontanée. Avec Mozart c’est… divin ! C’est rabâché de le dire : il n’y a pas deux notes qui pourraient aller mieux ensemble. Nous avons intitulé nos concerts « Simply Mozart » car oui, tout y coule, tout est simple.

 

Mozart a composé une œuvre énorme. Comment choisissez-vous ?

Pour notre trilogie Simply Mozart – dont le troisième disque sortira en septembre 2023 – nous avons décidé de laisser de côté les raretés, les œuvres qui sont jouées moins souvent. En réalité, de Mozart, on connait déjà tout. Donc, nous avons pris des œuvres célèbres comme les ouvertures des opéras de « la trilogie Da Ponte » (« Les Noces de Figaro », « Don Juan » et « Cosi fan Tutte » dont les trois livrets sont signés du poète Lorenzo Da Ponte). Nous ajoutons la trilogie des dernières symphonies de Mozart et trois de ses œuvres concertantes. C’est une idée qui marche idéalement au disque. En concert, nous ferons différemment car au Concert de la Loge, nous aimons intégrer des chanteurs. En tout cas, là aussi, nous choisirons des grands airs.

Nous n’abandons pas Haydn pour autant. Nous allons jouer les Symphonies londoniennes avec notre orchestre et un orchestre invité. C’est ainsi que Haydn le faisait quand il vivait à Londres. Nous partirons en tournée dans les villes européennes, avec des orchestres européens et, je l’espère, des financements européens.

C’est rabâché de le dire : il n’y a pas deux notes qui pourraient aller mieux ensemble. Nous avons intitulé nos concerts « Simply Mozart » car oui, tout y coule, tout est simple.

Julien Chauvin

Haydn, Mozart et ensuite ?

Beethoven forcément, le génie suivant dans l’histoire de la musique. A l’époque où les œuvres de Beethoven sont découvertes en France, dans les années 1770, les musiciens mêlaient des pièces de toute tailles : un duo de deux violons et une symphonie, une grande œuvre vocale comme le « Stabat Mater » de Pergolèse et une symphonie de Haydn. Le Concert de la Loge olympique, une société de brillants musiciens, dont notre ensemble s’inspire, organisait ses concerts de cette manière. Les successeurs du Concert de la Loge olympique, la Société du conservatoire, ont fait de même avec les concertos de Beethoven par exemple. En 2024/2025 nous allons reprendre cette tradition au disque mais surtout en concert. Ce sont des formats inhabituels dont on se dit « il faudrait les refaire » mais que personne ne refait. Nous si.

 

Vous êtes violoniste et chef d’orchestre. Comment définissez-vous votre place ?

Au XVIIIe siècle, le chef d’orchestre n’existait pas comme celui que nous connaissons aujourd’hui. Je dirige tout en jouant mon violon. Comme à l’époque, je n’ai sur mon pupitre que ma partie de « violon 1 », légèrement annotée. Il n’y avait pas de « conducteur », cette grande partition dans laquelle le chef voit toutes les notes de tous les instruments de l’orchestre. Tous les musiciens du Concert de la Loge sont donc aussi conscients que moi de la partition. Ni plus ni moins. La conséquence est que la musique était jugée sur pièce, sur le vif, sur ce qui sortait des instrumentistes. Aujourd’hui, un chef qui va interpréter une symphonie de Gustav Mahler, travaille en amont. Il a bien lu la partition avant de répéter ; Il a une idée préconçue de ce qu’il veut entendre. Aussi car il dirige un nombre plus important de musiciens que dans une symphonie de Mozart. De mon violon, j’écoute ce qui sort et je choisis. Le choix se fait en fonctions des musiciens et musiciennes que j’ai avec moi. Certains sont aguerris – j’ai par exemple des cornistes exceptionnels. Certains font ressortir un truc plus qu’un autre. La seule chose qu’il faut garder en tête est que nous sommes au service de la partition. Je trouve cet aspect passionnant. Ce travail demande forcément un peu plus de temps de répétitions. Et il me demande de prendre des décisions en une seconde…  D’où le côté « entrepreneur ». (rires)

 

Pour plus d'informations : Le Concert de la Loge