Chemins d’Enfances : quand le jeu libère de la précarité

L’association Chemins d’Enfances agit pour permettre aux enfants en grande précarité de réaliser leur plein potentiel et de mieux s’insérer dans la société grâce à des activités ludiques et pédagogiques. 12 ans après sa création, l’association continue d’expérimenter et s’ouvre à de nouveaux publics.

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Le jeu libre est peut-être la clef d’insertion la plus sous-estimée quand il s’agit d’accompagner des enfants, et notamment ceux en grande précarité.

C’est du moins la conclusion à laquelle nous pouvons arriver après avoir passé quelques temps à observer travailler l’association Chemins d’Enfances. L’idée est née en regardant le mode de fonctionnement de plusieurs centres en Inde.

Dans un premier, les enfants étaient propres, logés, nourris et éduqués à dire bonjour de manière respectueuse. Dans un autre, c’était l’inverse. Le mot « pagaille » étant le plus à même de décrire le sentiment général. Et pourtant, les enfants du premier avaient tendance à s’enfuir du centre alors que les enfants du second y semblaient beaucoup plus heureux.

La personne qui a pu faire cette observation, c’est Martine Roussel-Adam, une dirigeante d’entreprises qui s’est reconvertie au monde associatif en devenant la fondatrice et présidente des associations Chemins d’Enfances et SEVE (pour Savoir Être et Vivre Ensemble) et présidente de la Fondation Ashoka.

Cela ne fonctionne pas si on essaye de les remettre dans le moule, ils ne sont pas bien parce qu’ils sont toujours perdants, nous explique-t-elle. Ils s’enfuient parce qu’on ne les valorise pas du tout : ils sont tout le temps en échec parce qu’ils parlent moins bien et sont moins bons scolairement. Alors que si on part de leurs capacités propres que l’on va développer, en mettant par exemple en place des systèmes de jeux collectifs extérieurs où il faut être malin et débrouillard, les enfants des rues sont bien meilleurs que les autres puisqu’ils ont acquis ces compétences. Sur un autre plan, ils atteignent une forme d’égalité avec les autres.

Martine Roussel-Adam, fondatrice et présidente de l'association Chemins d’Enfances

Pendant ces jeux, la dynamique s’inverse complétement. Les enfants qui étaient toujours en retard se retrouvent à expliquer des choses aux autres… soudainement ils étaient vus différemment. Martine Roussel-Adam va de plus trouver des études de psychologie et pédagogie qui renforcent son intérêt pour le jeu, cet outil libre et gratuit : les enfants ont tendance à toujours choisir le jeu qui va le mieux correspondre à leurs besoins d’apprentissage.

Ce premier dispositif, appelé « Magic Place », propose donc un espace de jeu et d’apprentissage pour les enfants en situation de précarité. Il est bien rejoint par un second « Apprentis Citoyens » qui est un programme d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale que l’association propose dans de nombreuses écoles pour sensibiliser les jeunes.

Depuis ce jour, l’association Chemins d’Enfances a parcouru les routes pour proposer des aires de jeux pour les enfants, d’abord dans les bidonvilles d’Inde, d’Indonésie ou du Cambodge avant de faire le choix de concentrer son action en France où les problèmes liés à l’immigration rendaient leurs actions tout aussi pertinentes aux portes de Paris qu’à celles de Bombay.

L’ouverture à un nouveau public

Puis un jour de 2020, l’association reçoit un appel de la communauté d’agglomération de la Plaine Vallée (95). Le mécontentement s’élevait pour une communauté nomade, souvent désignés comme des gens du voyage, que l’on chassait toujours un peu plus loin, sur des zones réduites à peau de chagrin. Les violences se multipliaient, en écho à la violence qu’ils subissaient au quotidien. Les enfants vivaient dans une précarité et, délaissés par la société, se préparaient à reproduire ce schéma de la violence. Cette communauté se retrouvait ainsi encore davantage isolée, les enfants étant souvent déscolarisés.

Est-ce que Chemins d’Enfances serait en mesure d’intervenir ?

Le mode d’action à mettre en place, ils le connaissent bien. Ils n’ont aucun doute sur le fait que la mise en place de jeux libres pourra être une clef à même d’apaiser les tensions.

« On connaît bien l’enfance en grande précarité, confirme Martine Roussel-Adam. Et pourtant chaque situation est différente, et il faut savoir s’adapter à chaque fois. ». Un dispositif expérimental en même temps qu’un véritable défi que la Fondation Société Générale a souhaité accompagner.

Une expérimentation qui se rode en deux temps

L’association arrive donc une première fois sur le terrain en Février 2021, puis de nouveau en Avril. Le côté expérimentation est assumé puisque la méthodologie évoluera largement entre ces deux moments séparés de simplement deux mois. Et il évoluera de nouveau avant la troisième expérimentation du mois de Juin. Sur le terrain, l’association rencontre les acteurs locaux et notamment les écoles, pour comprendre la situation ainsi que les raisons pouvant expliquer le décrochage de certains enfants.

Plus que jamais, il a fallu apprivoiser les parents : difficile d’embarquer les enfants sans donner le sentiment que l’on va leur faire la morale. Il faut prouver être là pour les aider à se développer.

Martine Roussel-Adam avoue que la situation sanitaire n’a pas aidé à lever le climat de méfiance : « ils ne voulaient pas que l’on apporte le COVID sur le terrain. Ils vivent en milieux assez fermés et voyaient notre arrivée comme une prise de risque pour leurs enfants ».

Chemins d'Enfances

Le besoin de renforcer le dialogue avec les parents a donc été un axe d’amélioration au fil de l’expérimentation.

La première tentative avait pourtant mal commencé. Parmi les jeux, un certain nombre jouent sur un côté compétition pour challenger les enfants à se dépasser. Ce n’était définitivement pas la bonne approche puisque les enfants se sont retrouvés à se disputer encore plus. Ils n’ont jamais réussi à avoir le calme pendant le test de Février. L’association vient mieux armée en avril en faisant disparaître les jeux de compétition pour axer sur les jeux coopératifs où tout le monde gagne ensemble ou tout le monde perd ensemble. Une évolution qui sera complétement concluante et que Chemins d’Enfances comptent accentuer encore en juin.

« Nos équipes travaillent sur des petits points qu’ils ont repérés entre garçons et filles notamment, où il y a une méfiance mutuelle des deux groupes. »

Pour la première fois, l’association avoue avoir le sentiment d’avancer à l’aveuglette, de découvrir à tâtons de nouvelles problématiques à régler. « On est sur des besoins très spécifiques, nous confirme Martine. C’est à la fois ce que l’on sait faire, mais on est dans la dentelle, il faut que l’on fasse très attention et que l’on adapte notre savoir-faire ».

Le grand « secret » pour adapter son accompagnement à un nouveau public n’en est donc pas un : il faut beaucoup d’écoute, beaucoup d’observation, et la flexibilité de changer le programme en cours de route pour explorer différentes voies jusqu’à découvrir ce qui fonctionne. La fondatrice de l’association nous expliquera ainsi sa double motivation sur ce projet : « tout d’abord parce que c’est un beau projet et que ces enfants-là méritent beaucoup d’attention, mais aussi parce qu’il doit y avoir d’autres enfants qui sont dans cette difficulté-là et que l’on pourra maintenant aider grâce à nos apprentissages sur cette expérimentation ».