15 ans du programme Démos : quand Société Générale s’engage pour la musique classique et l’égalité des chances
Le choeur des donateurs, dont 50 collaborateurs Société Générale, lors des concerts de fin de saison Démos, à l'occasion des 15 ans du projet.
En 2010, Société Générale s’engage, via son mécénat musical, aux côtés d'un projet alors naissant : Démos. Ce Dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale a pour ambition de rendre la pratique de la musique classique accessible aux enfants qui en sont habituellement les plus éloignés. Quinze ans plus tard, les effets de cette aventure humaine et artistique se mesurent non seulement à travers les chiffres, mais surtout dans les parcours de vie qu'elle a contribué à transformer.
Un engagement fondateur
« Ce qui nous a plu tout de suite dans le projet Démos, se souvient Ulrich Mohrle, responsable du mécénat musical de la Fondation Société Générale, c’est cette combinaison entre l’apprentissage collectif et l’accompagnement social. Je me souviens encore d’avoir assisté, avec ma collègue Anne de Rouville, à la première restitution, salle Pleyel, de la première édition : c’était tout petit, deux ou trois orchestres seulement, mais l’enthousiasme des enfants était formidable. » En 2008, Gilles Delabarre, chargé des ateliers de pratique musicale à la Cité de la musique, imagine une formule annonçant les prémices de Démos : des enfants de Sarcelles reçoivent un instrument à cordes et participent à 20 heures de cours centrés sur la pratique instrumentale collective. Pour le volet social, Démos est porté par Olivier Flament, directeur de l’Association de prévention du site de la Villette (APSV). Cette association, qui incarne la responsabilité sociale des établissements située sur le parc, est notamment administrée par la Cité de la Musique. « Nous soutenions les deux structures, poursuit Ulrich Mohrle. Société Générale a donc naturellement été sollicitée, ce qui a fait de nous le "mécène fondateur" du projet. »
La conviction partagée par les équipes fondatrices est simple : la musique classique, avec son exigence, sa rigueur et sa richesse, peut devenir un levier d'émancipation pour des enfants issus de milieux fragiles. À condition de la rendre accessible, gratuitement, avec un accompagnement pédagogique, culturel et social solide. Démos repose dès l'origine sur un triptyque original : des musiciens professionnels pour l'apprentissage instrumental, des éducateurs pour l'encadrement et le lien avec les familles, et des structures locales (centres sociaux, associations, collectivités) pour l'ancrage territorial. Le tout organisé autour d'une pratique collective : les enfants forment un orchestre, dans lequel chacun a sa place, et jouent une fois par an dans une salle prestigieuse de musique classique.
Une extension nationale progressive
Après une première phase d'expérimentation concluante en Île-de-France, Démos commence à s'étendre à d'autres régions : l'Aisne et l'Isère dès 2013, puis Marseille en 2015. De 2012 à 2015, près de 500 enfants, issus de quartiers prioritaires, de zones rurales enclavées ou de territoires de montagne, rejoignent le dispositif. Là encore, Société Générale accompagne cet élargissement, qui nécessite une adaptation régionale.
Déjà en 2015, Christelle Serre, violoniste et coordinatrice pédagogique de Démos Isère, soulignait la spécificité du projet dans cette région : « Ce territoire est très vaste. Il nous a fallu une année pour coordonner la réunion d'enfants habitant les montagnes, les campagnes et les villes comme Grenoble et Vienne. » Le 21 août 2015, Société Générale était présente pour un évènement marquant de l’histoire de Démos : lors du festival de La Côte-Saint-André en Isère, un défi de taille est relevé : monter le Te Deum d’Hector Berlioz, une œuvre nécessitant la réunion d’un orchestre symphonique de 120 musiciens, de deux chœurs de 250 membres et de 600 enfants choristes. Dans le théâtre antique de Vienne, les enfants de Démos chantent Berlioz, accompagnés des musiciens de l'orchestre Les Siècles, devant quelque 6 000 spectateurs.
Une expérience scénique inoubliable
La scène fait partie intégrante de l'expérience Démos. Dès les premières années, les enfants se produisent dans des salles prestigieuses comme la salle Pleyel puis la Philharmonie de Paris. Ces concerts marquent les esprits, ceux des enfants comme de leurs familles. Ils deviennent des moments de fierté collective, d'accomplissement et de visibilité. « Quand je pense au projet Démos, témoigne Luna, 20 ans, je pense automatiquement à ça : quand on a joué à la Philharmonie de Paris. On ne s’y attendait pas, même s’ils nous en avaient parlé… mais on ne connaissait pas. C’était beau, c’était impressionnant. On a eu de la chance d’être des enfants et de jouer dans un lieu si beau, et on a eu la chance aussi d’avoir nos parents qui nous regardaient à cet endroit-là. » Le témoignage de Luna fait partie de la centaine d’entretiens menés par la sociologue Florencia Dansilio, qui a publié en 2024 une étude inédite consacrée au devenir des enfants ayant participé aux premières éditions de Démos. Son travail permet de mieux comprendre les effets à long terme d'un tel projet. Trois constats reviennent dans les paroles des anciens de Démos : un éveil à la musique et à l’art en général, une ouverture au monde et à l’inconnu et une éthique de travail.
Un éveil à la musique et au monde
Le premier impact est d'ordre artistique : nombre de jeunes se souviennent d'une véritable découverte, parfois d'une révélation. Meriem tombe amoureuse de l'alto, Adriana de la trompette, Divine ou Aïcha poursuivent aujourd'hui encore la pratique musicale, certaines jusqu'au conservatoire. Jade, 16 ans, joue en orchestre et partage sa passion avec sa famille. Aïcha, elle, envisage même de devenir cheffe d'orchestre. Dans ce processus d'éveil, les parents jouent un rôle central. Accompagnateurs lors des concerts, premiers auditeurs des progrès de leurs enfants, ils découvrent souvent avec étonnement et fierté le monde de la musique classique. « Toute la famille est impactée, résume Florencia Dansilio. Il faut souligner ici l’importance des parents, notamment des mères, dans l’engagement initial des enfants et leur rôle encourageant tout au long du projet. » Ulrich Mohrle assistait le 19 juin dernier au grand concert à la Philharmonie de Paris : « Outre les enfants, on a aussi entendu le Chœur des parents. L’implication des parents est l’une des grandes réussites du dispositif. Dans la salle, tout le monde est debout, l’atmosphère est sympa. »
L'impact de Démos est donc intergénérationnel : les familles s'investissent, s'informent, s'ouvrent à une culture qu'elles pensaient réservée à d'autres. Luna en témoigne : « Quand on a grandi dans un quartier populaire, on a d'autres types de musique. Je ne connaissais pas ce type de musique artistique. J’ai bien aimé, c’est le fait de découvrir un autre univers musical qui m’a beaucoup plu. » Ce dialogue culturel, loin d'être imposé, se construit dans le respect des origines et des identités. Plusieurs jeunes interrogés par Florencia Dansilio parlent d'une conciliation entre leurs traditions et la musique classique, d'un enrichissement mutuel. Même constat pour Gilles Delabarre, fondateur de Démos : « Je suis anthropologue et mon idée n’est pas d’élargir le public pour élargir le public, mais de rajouter une culture pour élargir la possibilité de choix. »
Un espace pour se (re)construire
L'un des apports majeurs de Démos réside dans sa dimension collective. En jouant en orchestre, les enfants apprennent à écouter l'autre, à se coordonner, à respecter un cadre commun. Ils tissent des liens avec leurs pairs, mais aussi avec les adultes accompagnateurs, souvent perçus comme des figures de soutien. Pour certains, le projet constitue un véritable espace de sécurité et de stabilité. Cette dimension est particulièrement pertinente pour le Démos de Marseille, premier orchestre implanté dans une grande métropole après la région parisienne. Il se développe auprès d’enfants rencontrant des difficultés scolaires et d'apprentissage, mais aussi des contextes familiaux très lourds. Élias, qui cumule difficultés cognitives et environnement déséquilibré, témoigne : « Démos m’a permis de décompresser, de me changer les idées sur le long terme et de me faire découvrir ce que c'est que d'avoir un instrument entre les mains. Quand je rentrais à la maison, je me mettais à jouer du violon, plutôt que d'aller voir ma famille qui était toxique. » Naël, atteint de troubles de l'attention, s'y épanouit grâce à la discipline musicale. Ces exemples montrent que Démos agit bien au-delà du seul cadre culturel : il s'inscrit comme un outil de résilience, d'insertion et d'ouverture.
Une expérience marquante, valorisée dans les parcours
Rares sont les anciens participants à envisager une carrière professionnelle dans la musique, mais beaucoup valorisent l'expérience Démos dans leur parcours. Ils la mentionnent dans leurs lettres de motivation, lors d'entretiens pour des écoles ou des emplois. Certains s'engagent dans des pratiques amateurs, d'autres deviennent bénévoles ou transmettent à leur tour ce qu’ils ont appris. Mais les transformations les plus profondes sont sans doute ailleurs : dans la manière dont la musique leur a permis de gagner en confiance, de développer une conscience de groupe, un sens de l'effort, une rigueur qu'ils valorisent encore aujourd'hui dans leur parcours scolaire et professionnel. « Je pense que m'exprimer musicalement m'a aidée à m'exprimer, à communiquer avec les autres », analyse Elena, 16 ans, venue de Gennevilliers. Les compétences acquises – discipline, travail en équipe, concentration, mémoire – sont mobilisées dans d'autres domaines. Plus encore, c'est une certaine image d'eux-mêmes que les jeunes retiennent : celle d'une capacité à relever des défis, à se produire en public, à faire partie d'un projet exigeant. « Démos n’a pas l’ambition de fabriquer des futurs musiciens, résume Ulrich Mohrle, mais des citoyens capables d’écoute ; c’est une expérience fondatrice qui les aidera tout au long de leur vie »
Un modèle de démocratisation culturelle
Démos bouscule les représentations. Non, la musique classique n'est pas réservée à une élite. Oui, des enfants de quartiers prioritaires, de zones rurales ou de contextes d'immigration peuvent y trouver un espace d'épanouissement. Gilles Delabarre résume ainsi les réserves qu’un tel projet a pu susciter : « Il y aura toujours cette lutte entre ceux qui pensent que l’éducation artistique et musicale est une nécessité, et ceux qui pensent que cet apprentissage culturel est superflu. Nous, on pense à la première option, et on veut gagner sur les autres ! » Alors qu’il achève sa cinquième phase, Démos compte aujourd’hui 60 orchestres, soit plus de 6 000 enfants touchés en France. « Société Générale a beaucoup pris au sérieux la continuité du projet, analyse Ulrich Mohrle. Démos a su s’adapter, apprendre et évoluer pendant toutes ces années. C’est quelque chose qui nous a toujours plu. »
Gratuit, rigoureux, fondé sur l'intelligence collective, Démos propose un modèle inspirant de démocratisation culturelle. Il montre que l'excellence peut aller de pair avec l'inclusion, à condition de mettre en place les conditions d’un accompagnement exigeant et bienveillant. En s'engageant dès les premiers pas du projet, la Fondation Société Générale a fait le pari de cet accès à la culture pour tous. Quinze ans plus tard, les parcours des anciens enfants Démos en sont la plus belle confirmation.
© Denis Allard