Stabat Mater : un chef d’œuvre, mille interprétations
A l’origine il y a une scène, tirée de la Bible : l’exécution du Christ sur la Croix et les larmes de sa mère, la vierge Marie. Pour les croyants, ce passage marque une bascule, un moment d’espoir : le Christ va ressusciter. Mais cette scène est aussi un moment poignant : une mère pleure la mort de son fils. Dans l’histoire de la musique, plusieurs compositeurs se sont emparés du Stabat Mater, le texte racontant cette scène, et de sa formidable ambivalence des émotions. Comme son cousin sacré le Requiem, le Stabat Mater a connu bien des versions à travers les siècles, de Vivaldi à Poulenc en passant par Rossini. Deux exemples avec deux disques récemment enregistrés par nos ensembles partenaires.
Le Stabat Mater de Pergolèse
La partition du Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolèse (1710-1736) s’est imposé comme LE Stabat Mater de référence. Avec ses airs solos très lyriques, son écriture sublime et son format parfait de "petit opéra sacré", il est devenu avec le temps un condensé de tubes de la musique baroque. Depuis la naissance du disque, nombreux sont les enregistrements de ce Stabat Mater de Pergolèse, tout aussi enregistré que les Quatre Saisons de Vivaldi et les Concertos Brandebourgeois de Bach.
Aujourd’hui, c’est un ensemble français qui livre sa version du Stabat Mater de Pergolèse : Le Concert de la Loge, dirigé par le chef Julien Chauvin. Grâce à des décennies de recherche en musicologie, cette musique assez lointaine nous est rendue aujourd’hui éminemment vivante et fidèle à son époque de création. Et pourtant, rarement une version de cette œuvre tellement enregistrée ne fut plus libre que celle du Concert de la Loge. La distribution des voix y est respectée, l’effectif orchestral également, mais les partis-pris d’interprétation sont forts. L’audace de Julien Chauvin va jusqu’à changer quelques points de la partition et l'enchainement des numéros.
Une liberté́ inédite qui témoigne d’une réelle volonté́ de dépoussiérer une œuvre qui, à force d’être jouée et rejouée, court le danger de devenir un totem sacré auquel personne n’ose s’attaquer. Cet enregistrement (paru chez Alpha Classics) concrétise l’audace de cette équipe que nous avons le plaisir de soutenir et, au passage, salue la jeunesse des deux chanteuses qui assument et donnent vie à ce "nouveau" Stabat Mater : la soprano belge Jodie Devos et la mezzo-soprano française Adèle Charvet.
Le Stabat Mater de Scarlatti
Une autre version, plus rarement proposée, a été choisi par l’ensemble Le Caravansérail. Dans la galaxie française du baroque, l’ensemble créé par Bertrand Cuiller en 2015 est un héritier naturel des premiers interprètes du répertoire des XVIIème et XVIIIème siècles. Des ensembles comme Les Arts Florissants, le Concert Spirituel ou le Poème Harmonique qui furent des pionniers de la redécouverte de la musique baroque dans les années 1980-1990 devinrent à un moment des académies, des pépinières pour la génération montante. Bertrand Cuiller, claveciniste de formation, a forgé son talent dans ces ensembles historiques.
Pour leur dernière parution, Bertrand Cuiller et son ensemble s’intéressent au répertoire vocal assez peu connu de Domenico Scarlatti (1685-1757). Comme son illustre contemporain Haendel, Scarlatti fut l’un des premiers compositeurs en Europe à exercer son art dans différents pays du continent. De Rome à Londres, en passant par Paris, sa musique contribuait au renouveau et à l’innovation des styles.
C’est dans le domaine de la musique sacrée, celle composée sur les textes religieux, que Domenico Scarlatti apporta le plus d’audace : il proposa aux chanteurs d’église une musique énergique, brillante virtuose à la hauteur de celle qu’il composait pour les musiciens instrumentistes dans ses concertos. Ces œuvres passionnantes sont celles que Domenico Scarlatti a composées à l’époque où il exerçait le prestigieux poste de maitre de chapelle à Saint-Pierre de Rome. Elles ont revigoré le conservatisme musical qui avait vogue dans l’église italienne en introduisant un peu de la folie du répertoire profane.
Le Stabat Mater qu'a enregistré́ le Caravansérail est un parfait exemple de ce vent de fraicheur. Traditionnellement austère, tragique et introspectif, ce texte qui raconte la descente de croix du Christ et la souffrance de la vierge Marie devient un hymne dynamique et enlevé́ qui traduit la révolution spirituelle qui s’ouvre avec cette scène : la Résurrection, conséquence de la crucifixion.
Pour l’interprétation de cette œuvre, exit les grands chœurs, exit le volume et le monumental. Place à un petit ensemble de dix chanteurs agiles et souple, capable de réagir à toutes les inflexions de la musique très moderne de Scarlatti. Un ensemble mené́ par la soprano Emmanuelle de Negri et le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian, compagnons réguliers de Bertrand Cuiller et de son orchestre. Ils se sont retrouvés dans l’acoustique étonnante de l’Abbaye aux Dames de Saintes (Charente-Maritime) qui a ouvert ses portes pour l’enregistrement.
A quand un nouvel enregistrement du Stabat Mater par l’un de nos ensembles partenaires ?