Lila Hajosi : « Faire de la musique, c’est chercher plus grand que la somme de nous-mêmes »
Comment est née votre passion pour les musiques anciennes ?
Je suis née d’un père d’origine hongroise et d’une mère galicienne. Ils étaient tous les deux mélomanes mais sans lien professionnel avec la musique. Ils ont dû néanmoins nous transmettre des rêves de musique car leurs trois enfants sont dans le spectacle et la musique ! Nous habitions les Baux-de-Provence, littéralement sous l’ancienne forteresse médiévale du village. De là vient sans doute mon goût pour l’ancien… et les ténèbres ! Il y avait fréquemment des reconstitutions médiévales au château et j’ai eu un gros coup de foudre pour cet univers des chevaliers, les récits d’heroic fantasy (genre littéraire médiéval et fantastique, ndlr), et la musique de cette époque. De disque en disque, je me suis fait ma culture : ceux de Jordi Savall, des enregistrements de musiques de Bach, etc. Avant d’accéder au conservatoire puis à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, j’avais rencontré le musicien Henri Agnel, qui venait avec son ensemble Les Ménestriers aux Baux-de-Provence. Il m’a formée aux musiques anciennes et du monde. Il m’a appris à jouer de la musique classique indienne comme du oud, du cistre, etc. Je tiens de lui le goût pour la fusion des styles.
Quelles traditions musicales fait entendre l’ensemble Irini ?
Le propos est avant tout de faire de la musique vocale et polyphonique. Ensuite, de faire de la musique sacrée et ancienne avec un prisme sur la tradition catholique et orthodoxe, les deux églises de Rome et de Byzance.
J’ai choisi la musique sacrée car il y a toujours quelque chose en plus par rapport à la musique profane. Sacré signifie « ce qui est à part », ce qui est plus grand que la somme de nous-mêmes. Quand nous chantons, nous cherchons une unité pour atteindre quelque chose, un rassemblement et une élévation… mais c’est finalement la définition de la musique pour moi.
Pour le moment, l’ensemble Irini suit cette ligne et grandit dans cette identité. Mais je rêve que, bientôt, on ne regarde plus notre ligne, mais qu’on identifie notre son. Nous avons commencé en trio mais bientôt, l’automne 2023, nos programmes impliqueront des instrumentistes pour passer au format chœur de chambre, soit entre cinq et dix chanteurs et chanteuses. Je serai à la direction.
« Quand nous chantons, nous cherchons une unité pour atteindre quelque chose, un rassemblement et une élévation… mais c’est finalement la définition de la musique pour moi. »
Lila Hajosi
Est-ce facile de passer de chanteuse à cheffe de chœur ?
Dans mon cas ce fut une bascule très violente… Je ne peux plus chanter. J’ai réalisé il y a deux ans que mon larynx ne m’offrait qu’une autonomie de dix minutes de chant… J’ai chanté mon dernier opéra à La Monnaie de Bruxelles en octobre 2020. Ce fut une grande angoisse, jusqu’à comprendre ce qui se passait, et accepter ma nouvelle place de cheffe. Je suis une médiatrice entre le public et les voix des chanteurs. Cette position me convient pleinement. Aujourd’hui je n’ai aucun regret : je me régale. Et je suis presque émerveillée que les choristes puissent chanter très longtemps !
Comment voyez-vous le futur d’Irini ?
Je travaille à de nouveaux programmes sur Guillaume Dufay, un compositeur du XVe siècle qui a participé à une tentative de réconcilier les Églises de Rome et de Byzance (après le Grand Schisme d’Occident de 1378 à 1417, ndlr). Mais pour le moment l’enjeu pour l’ensemble Irini se résume en un mot : survivre ! Des régions entières coupent les subventions artistiques. L’ensemble Irini a beaucoup de chance d’avoir le soutien de la Fondation Société Générale. Nous traversons une période très difficile pour l’art en général et la musique dite de spécialité. Je déteste cet adjectif qui nous coupe du public. L’ensemble Irini fait de la musique mais on nous dit qu’on fait de la musique ancienne. Pour moi « ancienne » équivaut à poussiéreux, figé, élitiste, de niche, spécialisé… Au secours ! C’est de la musique, tout simplement. L’important est qu’elle touche le public, qu’elle le surprenne. Arrêter de faire des musiques différentes, ce serait ne donner à manger à un enfant que du chocolat pour être sûr qu’il mange, plutôt que lui faire goûter aussi les épinards. C’est de la maltraitance. Pour moi, c’est pareil pour la musique.
En savoir plus : www.ensembleirini.com