Élise Bertrand : « J’ai tout de suite senti que le violon me plaisait »
Quel a été votre parcours de musicienne ?
Élise Bertrand : Je suis née en 2000. J’ai débuté le piano à 5 ans et le violon à 8 ans au Conservatoire de Toulon, dans le Var. A 11 ans, j’ai commencé à composer mes propres compositions, en autodidacte. Pour avancer dans mon parcours, j’ai dû partir à Paris, au Conservatoire à rayonnement régional (CRR) pour étudier le violon mais aussi la composition. Mon professeur en composition, le compositeur Nicolas Bacri, m’a beaucoup aidée pendant six ans pour que je puisse progressivement découvrir mon langage musical. J’ai poursuivi depuis mes études supérieures au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP), notamment en musique de chambre avec mon pianiste Gaspard Thomas. Et en Belgique en tant qu’artiste en résidence à la Chapelle Musicale Reine Élisabeth dans la classe d’Augustin Dumay. C’est un endroit magnifique, au milieu de la forêt, avec des musiciens du monde entier.
Avec quel violon avez-vous réalisé vos études ?
Jusqu’à mes 19 ans, j’avais un violon anonyme pendant mes études, qui m’a permis de passer mes premiers concours. Mes professeurs m’avaient dit que ce violon n’était plus à la hauteur du niveau que j’avais acquis. Je n’avais jamais joué un violon aussi ancien que celui de Joseph Gagliano, construit à Naples en 1796, prêté par la Fondation d’entreprise Société Générale. Ce fut une grande découverte, une grande émotion.
Comment avez-vous su que la Fondation Société Générale pouvait vous prêter un violon ?
Au CNSMDP. Il fallait présenter un dossier comprenant un CV, une lettre de motivation et présenter des lettres de recommandation de professeurs. J’ai reçu les soutiens de la violoniste Sarah Nemtanu, qui m’a soutenue en tant que compositrice, de la pianiste Claire Désert, qui est ma professeure en musique de chambre, et des violonistes Augustin Dumay et Krzysztof Wegrzyn. Lire ces lettres fut bouleversant ! Ils avaient vraiment envie de me soutenir dans mon désir d’avoir ce violon.
Racontez-nous la rencontre avec le violon !
Lorsque j’ai su que j’étais acceptée, je n’avais pas encore pu tester l’instrument. J’ai questionné des personnes qui l’avaient joué. Elles m’ont répondu un énigmatique « tu verras » ! Je comprends bien sûr : un violon, si beau soit-il, si ancien soit-il, peut ne pas convenir au violoniste. C’est une histoire de personnalité ! Évidemment, lors du premier essai, dans l’atelier de lutherie Vatelot-Rampal, j’étais dans un état de grande excitation. Mes toutes premières notes avec venaient de la Sonate de Guillaume Lekeu, que je travaillais à ce moment-là pour l’enregistrer avec Gaspard Thomas. J’ai tout de suite senti que le violon me plaisait. D’abord, le Gagliano est bien plus sonore que le mien, il permet une grande projection du son , il est très lumineux dans les aigus. Ce violon possède une corde de mi très brillante (le violon à quatre cordes correspondant aux notes sol - ré - la – mi. Celle de mi est la plus aiguë, ndlr). J’en suis très heureuse. Nous étions mi-décembre 2022 : c’était comme un cadeau de Noël en avance ! Si le violon ne m’avait pas convenu, j’aurais bien sûr pu le rendre à la Fondation, c’est ce qui est prévu dans la charte… Aujourd’hui je me demande déjà ce qui se passera dans trois ans, à la fin de la convention de prêt, les musiciens sont souvent en recherche de prêt d’instrument !
Le Gagliano est bien plus sonore que le mien, il permet une grande projection du son
Elise Bertrand
Que change au quotidien le fait de jouer avec un violon ancien ?
Cet instrument a une grande personnalité et nous continuons à découvrir l’un l’autre nos qualités et nos défauts. Comment entre deux personnes, les unes et les autres ne se connaissent pas tout de suite ! Cela dit, j’ai constaté très vite le changement dans le travail en duo avec Gaspard Thomas. A côté de son piano, je n’ai jamais besoin de forcer pour que le son passe. Cette puissance sera un atout quand je vais jouer avec un orchestre : je suis d’ores et déjà plus rassurée sur ma capacité à me faire entendre au-dessus-de l’orchestre, ce qui peut être un vrai challenge en fonction du répertoire et de la masse sonore de l’écriture orchestrale. Je jouerai en soliste en concert l’année prochaine avec l’Orchestre de Normandie car j’ai gagné le Prix d’Honneur au Concours International des jeunes talents en Normandie… avec ce violon, bien sûr.
Se voir prêter un tel violon est une grande responsabilité, n’est-ce pas ?
J’ai simplement à le jouer et à en prendre soin ! La Fondation Société Générale prend entièrement en charge les frais nécessaires à son entretien. L’assurance d’abord, qui est proportionnelle au prix du violon… Et aussi des rendez-vous réguliers avec le luthier de la Fondation, Philippe Mahu, pour vérifier l’état de l’instrument, en prendre soin, faire les réglages. Je vais y retourner en avril pour le changement de saison. Le violon, comme nous, est sensible à la météo, surtout quand il pleut. Dans ces cas-là le violon semble gorgé d’eau, le son s’emplit d’humidité et se ferme… c’est toujours étrange. C’est évidemment une sensation qu’éprouve celui qui le joue, je ne peux pas dire si l’auditeur l’entend.
Ce violon aide-t-il à inspirer la compositrice que vous êtes ?
Oui et non. Quand je compose pour violon et piano par exemple, je me mets successivement au piano et au violon. Mais dès que la pièce que j’ai en tête n’implique pas un violon, je compose au piano. Le piano est un outil pour entendre, c’est le cas même lorsque l’on écrit pour orchestre. Le 4 juin prochain, je créerai une nouvelle œuvre pour violon et cordes à la salle Gaveau, à Paris, à l’invitation de l’Orchestre Colonne. C’est une vraie joie de pouvoir jouer pour la première fois en soliste avec ce nouveau violon dans l’une de mes œuvres, qui plus est, la première pièce concernante pour violon que je compose !
Plus d’information sur l’accompagnement des projets des étudiants proposés par la Fondation : Accompagner les projets des étudiants | Société Générale Fondation (societegenerale.com)
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